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CEE : « Il pourrait y avoir un effet boomerang en 2023 » (Pierre Maillard, PDG d’Hellio)

Publié le 16 février 2022

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Dans un contexte de baisse des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE), certains professionnels de la rénovation énergétique et de l’isolation alertent depuis quelques semaines sur une baisse soudaine et brutale de l’activité. Certains acteurs appellent ainsi à rehausser le niveau d’obligation pour la 5ème période. Pierre Maillard, PDG d'Hellio, est plus prudent sur ce sujet. Il appelle surtout à une meilleure cohérence entre les objectifs du gouvernement et la réalité sur le terrain, et invite à se méfier du retour des offres à 1 €.
CEE : « Il pourrait y avoir un effet boomerang en 2023 » (Pierre Maillard, PDG d’Hellio) - Batiweb

Il y a cinq jours, Édouard Barthès, président du Symbiote, réagissait à la baisse des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) et à l’impact sur l’activité des entreprises de rénovation énergétique. Il appelait ainsi à réhausser le niveau d’obligation et à revenir aux anciennes versions des coups de pouce. Tel n’est pas l’avis de Pierre Maillard, PDG d’Hellio, selon lequel ces coups de pouce ont parfois fait le jeu des « margoulins » et décrédibilisé le dispositif des CEE.

Depuis plusieurs semaines, des acteurs de la rénovation énergétique alertent sur les conséquences de la baisse des CEE. Que constatez-vous de votre côté ?

Pierre Maillard : On a tous mis en route des machines à produire des CEE sur les trois dernières années, avec différents dispositifs d’aides qui existaient, comme les bonifications, initialement mises en place pour rattraper un retard de production. Aujourd’hui on produit trop, donc on a atteint trop rapidement le volume d’obligation national, qui est défini par les volumes de ventes d’énergie qui sont mis à la consommation en France.

Les obligés - fournisseurs d’énergie - ont des volumes d’obligation. Ce volume d’obligation est un volume théorique, qui est basé sur des estimations à la consommation. Or, dans la 4ème période il y a eu le Covid, qui a réduit 5 % la consommation énergétique en France, selon le type d’énergie (électricité, gaz, fioul…). Ces 5 % de baisse, cela implique que l’obligation réelle a diminué, donc les obligés ont eu moins à faire et ont surpassé leur obligation. Au 1er juillet 2022, on estime qu’il y aura quasiment 7 à 8 mois de stock d’avance sur la 5ème période.

Les obligés ne veulent plus de CEE, donc ils freinent les volumes, et cela créé moins d’incitation financière à réaliser les travaux. Donc je comprends que de nombreuses entreprises de travaux qui sont basées uniquement sur les dispositifs CEE soient dans l’embarras aujourd’hui. Il ne faut pas oublier que le secteur résidentiel représente aujourd’hui 68 % de la production de CEE, dont 40 % de CEE précarité, 17 % pour l'industrie, et 7 % pour le tertiaire.

Quel est l’impact sur la réalisation de travaux de rénovation énergétique ?

P.M. : On a une forte activité de réduction de la production de CEE qui a été mise en place par l’administration. Aujourd’hui, on valorise et distribue moins d’incitations financières sur un même chantier qu’il y a 6 mois. C’est très compliqué parce que sur le terrain, une entreprise de travaux qui va par exemple changer une chaudière, va verser entre 40 et 60 % d’aides en moins qu’il y a 6 mois. Donc il faut expliquer cela aux particuliers. Cela a un effet de non stabilité de marché, qui met en péril le dispositif, parce que les particuliers ont l’impression qu’on leur raconte n’importe quoi sur les aides. On touche à la crédibilité du dispositif des CEE auprès des bénéficiaires finaux.

Le deuxième point, sur le frein à la rénovation énergétique, c’est que le volume de kilowattheures est drastiquement diminué, donc il risque d’y avoir une baisse de la production de CEE de 50 à 60 %. Il pourrait y avoir un effet boomerang en 2023, parce qu’on va tous se rendre compte qu’on ne produit plus assez.

Comment pourrait-on stabiliser ce dispositif des CEE ?

P.M. : Il faut réfléchir à la fois au niveau d’obligation total, aux coefficients d’obligation selon le type d’énergie distribuée, sur le nombre d’acteurs qui sont obligés - comment augmenter ce nombre d’acteurs - et ensuite il faut gérer la production de CEE, et les niveaux de stocks. 

Si on veut atteindre les objectifs gouvernementaux et accélérer le rythme des rénovations énergétiques en France, on n’a pas le choix, il faut augmenter les ambitions sinon on met un gros frein. Aujourd’hui, pour atteindre les objectifs de rénovation de logements, notamment des foyers modestes, si on ne veut pas mettre un coup d’arrêt à ces rénovations, on doit augmenter le niveau d’obligation.

Que pensez-vous des coups de pouce ?

P.M. : Les coups de pouce ont été instaurés parce que le secteur n’arrivait pas à produire assez et pour orienter davantage les primes vers les travaux d’économies d’énergie et en faveur des ménages en situation de précarité énergétique. Ils ont été mis pour faire uniquement de la bonification et accélérer le dispositif. Aujourd’hui on surproduit donc on décide de les enlever. Il faut arrêter les offres à 1 € et éviter de mettre en place ce qui les ferait revenir. Ce qu’il faut travailler, c’est l’atteinte d’économies d’énergies réelles. Revenir aux anciens coups de pouce, cela voudrait dire re-générer beaucoup de CEE sur le secteur, or on en surproduit déjà, donc je ne vois pas l’intérêt.

L’important, c’est d’avoir un dispositif qui soit lié à un niveau d’économies d’énergie réelles, et pas des économies d’énergie théoriques. Il y a un non-sens si on est tous satisfaits parce qu’on a atteint des volumes d’obligation et qu’en réalité les kilowattheures économisés sur le terrain ne sont pas là du tout. Selon moi, ça n’est pas normal, et cela a été permis par des bonifications dans tous les sens. Je milite vraiment pour un dispositif qui soit le plus corrélé à des économies d’énergie réelles.

Si on ne veut pas recommencer ce qu’il s’est passé en 2017 et 2018 avec beaucoup de margoulins, il faut qu’il y ait des décisions qui soient prises maintenant par le gouvernement, de choisir des acteurs qui maîtrisent l’ensemble des maillons de la chaîne de la rénovation.

Que proposez-vous pour remédier à cette situation ?

P.M. : Orienter les ménages qui bénéficient de primes à les recevoir uniquement de la part d’acteurs qui soient référencés et habilités par l’État, et cette habilitation ne doit être donnée que si ces acteurs maîtrisent à la fois la partie audit énergétique, préconisation de travaux, supervision ou réalisation des travaux, optimisation des devis, moyens de financement du reste à charge, assurance, et garantie décennale.

On doit avoir des acteurs qui prennent leurs responsabilités. On a trop vu de reportages sur des maisons dont la valeur est détruite juste parce que les travaux ont été mal faits.

Dans ce contexte, que pensez-vous de la mise en place de Mon Accompagnateur Rénov’ ?

P.M. : Je pense que c’est très bien, mais qu’il faut être encore plus large. Ne pas voir que le résidentiel mais l’ensemble des secteurs d’activité. Je le vois d’un bon œil, mais il faut le confier à des entreprises compétentes, qui soient habilitées et agrées par l’État parce qu’elles suivent des normes. Qu’elles aient l’ensemble des qualifications qui leur permettent de préconiser des travaux d’économies d’énergie et qu’elles les gèrent. Quand on préconise des travaux de rénovation énergétique, on ne peut pas après se défausser et dire « je vous avais dit de faire ça… », non, on doit le faire, et on doit atteindre les résultats de réduction des consommations d’énergie.

 

Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Pierre Maillard
 

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