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Financement participatif : le crowdfunding peut-il sauver les entreprises du BTP de la crise ?

Publié le 13 mars 2015

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Le financement participatif gagne du terrain dans tous les secteurs, y compris dans le BTP. Que ce soit pour financer du matériel, rénover un atelier, obtenir des fonds de roulement ou financer un projet plus immatériel comme l'obtention d'un label, les entreprises du bâtiment n'hésitent plus à faire appel aux particuliers via des plateformes de crowdfunding. Zoom sur une pratique en pleine expansion.
Financement participatif : le crowdfunding peut-il sauver les entreprises du BTP de la crise ? - Batiweb

Quand on lui demande s'il pensait un jour recourir au financement participatif pour son entreprise, Lucien Million répond d'un « non » catégorique. Pourtant, sur les conseils d'un ami et ancien client, ce chef d'entreprise du bâtiment se lance, non sans quelques réticences. « Au début, je ne voulais pas trop me lancer dans le financement participatif parce que je n'y croyais pas trop. Les taux de remboursement sont quand même élevés, jusqu'à 10 %. Alors j'en ai d'abord discuté avec des amis ingénieurs qui m'ont assuré que c'était l'avenir. Et comme il est très compliqué aujourd'hui d'obtenir un prêt auprès d'une banque, je me suis lancé », explique Lucien Million, également membre du conseil d'administration de la Capeb dans les Vosges, qui ne regrette en rien son choix aujourd'hui.

En novembre dernier, il présente son projet à la plateforme de crowdfunding Unilend. Il souhaite engager son entreprise SARL Million à Hadol, spécialisée dans les travaux de charpente, de couverture, et les ossatures en bois pour bureaux et bâtiment d'habitation, sur le marché des maisons en bois. « En une journée, nous avons trouvé 75 000 euros, c'est fou ! », s'enthousiasme l'entrepreneur qui a encore aujourd'hui du mal à y croire.

Sur 105 projets, 11 % concernent le BTP

Comme lui, certains artisans et chefs d'entreprise n'hésitent plus à recourir au financement participatif pour financer des projets parfois écartés dans un premier temps par les banques. Deux plateformes se distinguent sur le marché français : Unilend, fondée en 2003 et Lendopolis, créée par les fondateurs de la plateforme de dons KissKissBankBank, en novembre dernier.

Concrètement, l'entreprise monte un dossier qu'il présente à la société gestionnaire de la plateforme de crowdfunding. Si son projet est retenu, il est alors présenté en ligne aux particuliers. Ces prêteurs peuvent choisir dès lors les projets qui les intéressent et les financer par des petits ou des gros montants. Sur la plateforme Unilend, le taux de remboursement du prêt est défini par les prêteurs, sous forme d'enchères inversées. Les taux les plus bas étant proposés à échéance aux entreprises, dans une fourchette comprise entre 4 et 10 %.

Sur la plateforme Lendopolis, ce taux est fixé selon la note de risque attribuée à l'entreprise après une analyse de son bilan et de son prévisionnel, A correspondant à un risque moindre, avec un taux de 5 à 7 %, B de 8 à 10 %, C le plus risqué avec un taux élevé de 10 à 12 %.

A l'entrée, la sélection est draconienne. « Sur cent entreprises qui nous présentent un dossier, nous en sélectionnons en moyenne cinq. Le but est de présenter une entreprise fiable et en capacité de remboursement. Nous effectuons un test d'éligibilité en partenariat avec Altarès, acteur de l'information sur les entreprises et nous réalisons une analyse de risques comme les banques, mais plus rapide. Nous étudions les performances financières de l'entreprise, la qualité de sa structure, son niveau d'endettement, sa rentabilité, ses prévisions, le marché sur laquelle elle est positionnée, l'équipe dirigeante et ses expériences » détaille Christophe Martins, directeur marketing de la plateforme Unilend. Même chose du côté de Lendopolis : un dossier sur douze environ est présenté aux prêteurs et seuls les projets des TPE/PME de plus de deux ans sont étudiés.

Financer l'immatériel plus facilement

« Le crowdfunding n'est pas réservé à des start-up technologiques, cela touche tous les secteurs, affirme Christophe Martins. Au 25 février, sur les 105 projets que nous avons présenté à notre communauté de prêteurs, 11 % concernaient des entreprises du BTP ».

Sa plateforme a déjà permis de financer plusieurs projets du BTP, que ce soit de l'investissement en matériel, des besoins en fonds de roulement ou encore de l'immatériel. L'entreprise du bâtiment Boubat dans le Cher a notamment demandé 100 000 euros pour obtenir un label environnemental, former son personnel aux dernières techniques de rénovation et investir dans des engins moins polluants, « des choses complexes à financer pour les banques, dès que cela touche un peu l'immatériel », affirme le directeur marketing.

Du côté de Lendopolis, plateforme plus récente, c'est le secteur du commerce qui est en tête des projets présentés mais aucun secteur n'est exclu non plus. « Le crowdfunding est adapté à tous les secteurs, le BTP pas plus et pas moins que les autres. A partir du moment où les chefs d'entreprise comprennent que nous ne sommes pas une banque et que c'est la foule qui décide, alors ça fonctionne. La levée de fonds demande du temps, de l'énergie, il faut s'investir aussi car il y a une vraie interaction avec le public. Aujourd'hui, notre plateforme affiche 75 % de réussite », détaille Vincent Ricordeau, l'un des fondateurs de Lendopolis.

Une fois le montant atteint, l'entreprise peut encore se rétracter, « ce qui est déjà arrivé une fois », précise Christophe Martins pour Unilend, ou utiliser les fonds pour réaliser son projet.

Quels risques ?

Mais ce placement peut s'avérer risqué pour les particuliers prêteurs. En cas de défaillance de l'entreprise, le recouvrement à l'amiable est souvent la première option. « On fait appel à une société de recouvrement qui prend les dettes de tous les prêteurs et essaie de recouvrir ce montant. Mais, nous sommes très transparents là dessus, il y a clairement un risque de non remboursement pour les particuliers, admet Christophe Martins. Le meilleur moyen de s'en prémunir est donc de répartir son argent et de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier ».

Lendopolis conseille également la même chose à ses investisseurs. « On estime que le taux de défaut des plateformes est de 2 % environ. Nous avons dès lors une posture de conseil pour décider si la procédure de recouvrement est intéressante ou non pour le particulier », explique Vincent Ricordeau.

Du côté de l'entreprise, peu de risque en revanche, sinon celui de ne pas obtenir les fonds pour financer son projet ou de ne pas pouvoir rembourser le prêt. « Les gens préfèrent financer des projets qui leur semblent utiles mais il n'y a pas plus de garantie de remboursement chez moi qu'ailleurs, prévient M. Million. C'est à double-tranchant, aussi bien pour eux que pour nous. Il faut cependant relativiser, le placement du particulier reste à un risque modéré, car il met entre 20 et 100 euros sur la table. On me fait aussi confiance parce j'ai un carnet de commande d'une année devant moi et que nous avons eu un bon bilan l'an dernier. C'est sûr qu'il ne faut pas être à la dernière limite pour demander de l'argent et sauver la boutique : ça, ça ne marchera pas ! »

Des dérives potentielles

« Il faut avouer que certains projets présentés sont un peu bizarres et manquent de sérieux », renchérit Pierre* un autre chef d'entreprise, sous couvert d'anonymat, qui a également effectué une levée de fonds réussie grâce au financement participatif. D'autre part, « il existe des dérives au système car le projet présenté aux particuliers peut n'être qu'un prétexte à la levée de fonds de trésorerie. D'autant qu'on n'est pas tenu de réaliser ledit projet par la suite ».

Selon lui, les plateformes de crowdfunding attirent également de faux investisseurs résidant en Italie, en Grande-Bretagne ou encore en Belgique. « Ces personnes nous contactent personnellement, nous font miroiter un prêt ou nous proposent même le rachat de notre entreprise et finissent par nous escroquer de l'argent. Il faut donc rester prudent », témoigne ce chef d'entreprise qui a depuis porté plainte.

Un phénomène difficilement quantifiable

Si le revers de la médaille peut éveiller certaines craintes, le crowdfunding a tout de même son utilité. Pour sa part, M. Million recommande aujourd'hui ce mode de financement à d'autres chefs d'entreprise autour de lui. « Ce n'est pas la solution mais une des solutions. Cela répond à un besoin ponctuel,» explique-t-il.

Aujourd'hui, le phénomène reste difficilement quantifiable en France. Contacté par Batiweb, le bureau de la Capeb avoue « ne pas disposer d'éléments sur le crowdfunding, car la pratique n'est pas forcément identifiée au niveau national ». « Mais cela ne veut pas dire que nous n'avons pas d'adhérent qui le font. Seulement, on entend plus souvent parler de cette pratique pour la musique que dans l'univers du bâtiment », ajoute-t-elle.

Même son de cloche du côté de la FFB qui n'a « aucun retour sur le sujet » et qui « ne se pose (pas vraiment) cette question à l'heure où la préoccupation des chefs d'entreprise est le retour de l'activité ».

« Le marché est encore balbutiant en France, confirme Vincent Ricordeau. Même si nous sommes les premiers en termes de volume sur l'Europe continentale, nous sommes encore loin derrière les anglo-saxons et les Américains dont le cadre réglementaire pour cette pratique existe depuis plus longtemps. Il faut y aller pas à pas, que les chefs d'entreprises s'habituent à l'outil, que les particuliers nous donnent leur confiance. Le crowdfunding est une vraie alternative au financement classique qui permet à une entreprise de se financer plus vite et différemment. Mais cela ne va pas remplacer le financement via les banques. Le marché se développera lentement car il y a un gros travail de pédagogie à faire mais il est gigantissime, quelques milliards d'euros à l'horizon 2020 ».


* Le prénom a été modifié

Claire Thibault

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