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Délais de paiement : pourquoi une loi est nécessaire...

Publié le 05 mars 2008

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Par une conspiration mêlant intérêt et ignorance, les délais de paiement ont été considérés dans notre pays depuis quarante ans comme une question économique de second ordre. En réalité, il s'agit aujourd'hui, encore plus qu'hier, d'une question macroéconomique majeure. Les entreprises françaises consentent à leurs clients 600 milliards d'euros de crédit, plus de quatre fois ce que consentent les banques aux entreprises en matière de crédit commercial.
Le délai des encaissements est aussi un triste record français. Les autres grandes économies européennes sont toujours bien meilleures. Délais et retards atteignent ainsi en moyenne, selon Intrum Justitia, 66 jours en France en 2005 contre 47 jours en Allemagne ou 52 jours en Grande-Bretagne. Les pays qui ont des délais de règlement moyens plus grands (Espagne et Italie) compensent leur handicap par des procédures de type clearing en Italie ou par des émissions de garanties bancaires spéciales en Espagne. Cela revient à donner aux fournisseurs une possibilité de pure liquidité à partir de 30 à 40 jours.

Sur plan conceptuel, l'existence d'un tel pactole appelle de multiples remarques quant à son incohérence et son immoralité économique. Ici, simplement, on se bornera à dire que cette masse énorme financée par les fournisseurs, intégrée à la trésorerie de leurs clients, est complètement stérilisée pour les investissements de ses vrais propriétaires. Et que, traitée comme une ressource gratuite par ses détenteurs, elle est privée d'une grande part de son efficacité économique. Dans ce jeu à somme négative, les perdants prêteurs sont bien sûr les petites entreprises plutôt industrielles de type sous-traitant. Les principaux bénéficiaires sont les grands des secteurs de la distribution, les constructeurs automobiles, les grandes entreprises de travaux publics et bien sûr l'Etat. La galerie des gagnants explique à elle seule la force de résistance à l'efficacité économique globale. Elle montre aussi que tout changement passe par une attitude courageuse et vigoureuse de l'Etat régulateur et l'Etat client.

Nos économies modernes sont plus que jamais tournées vers le souci de la productivité du capital, qui crée une compétition réelle sur la localisation des investissements. Ainsi, par exemple, on comprend bien que si en France, pour produire 50, on doit investir 10 en investissement et 10 en financement d'exploitation alors qu'en Allemagne on ne devra mettre que 10 et 5, on préférera bien sûr investir en Allemagne.

Compte tenu de l'importance croissante des capitaux gelés par le phénomène, nos gouvernants ont peu à peu pris conscience de l'étendue des dégâts et de la pente d'aggravation de la situation. Nous avons eu tout d'abord en 2002 la loi NRE, sans caractère obligatoire, qui appelle à un règlement n'excédant pas 30 jours. Elle est restée lettre morte. Il y a eu ensuite la volonté d'améliorer les choses par la négociation (fournisseur-client), comme si la négociation commerciale, fruit d'une relation de pouvoir, ne se clôturait pas d'elle-même. Nouvel échec. Il ya eu enfin l'exemple du transport, secteur qui a bénéficié de conditions plus favorables. La loi du 5 janvier 2006, suivant les principes plus anciens qui s'applique aux produits frais, oblige les clients à régler le transporteur à 30 jours. C'est très bien si on se limite au principe. Néanmoins, on doit au passage observer que cette loi crée de graves distorsions entre agents économiques qui ont tous recours aux transporteurs à des degrés divers et à des stades divers de la création de valeur ajoutée.

Après des opinions et gages donnés par M. Novelli et Mme Lagarde, il y a eu le clair et volontariste discours du 7 décembre du président de la République. Il a pour la première fois abordé le sujet dans ses termes de rapport de force et du résultat du rapport de force. Enfin ! Pour finir, il y a peu, on a vu que la commission Attali en a fait un point essentiel de la réforme. En contrepoint, la préparation de mesures dont on ne voit pas comment elles ne pourraient pas être contraignantes conduit certains de nos grands distributeurs à donner de la plume et de l'aimable pression vis-à-vis de leurs fournisseurs. La grande distribution sait que, si elle est payée au comptant par ses clients, elle paye ses fournisseurs le plus tard possible. Pour elle, l'enjeu serait supérieur à 10 milliards d'euros. L'industrie automobile, quant à elle, invoque un « business model » qui l'oblige à faire financer tout son cycle d'exploitation par des tiers. Enfin, la banque est silencieuse. Elle ne sait pas encore ce que tout cela va donner pour elle. Pourtant, elle détient une partie des clefs de la résolution du problème.

Notre conviction est que seule une loi à caractère universel et obligatoire peut amener de telles oppositions à la raison. Nous sommes également convaincus que cette loi ne sera appliquée que si le système, c'est-à-dire nous tous, agents économiques, est capable de mettre en place des mesures d'accompagnement d'une telle mutation. Des solutions techniques simples et transparentes existent. Il suffit de vouloir les appliquer.

A l'inverse, si on aborde le sujet, comme cela est manifestement la tentation de certains, à travers des concertations multiples, des discussions par filières, par secteurs, par groupes d'intérêts, par des recherches de consensus boiteux, nous sommes certains que cela ne conduira à rien, comme d'habitude.

Gouverner, c'est choisir. Cette question classique est naturellement au centre de la problématique d'application des mesures du rapport Attali. La réduction des délais de paiement constitue une des premières mesures applicables, relativement facilement. Toute approche molle de la réforme sera vouée à l'échec.

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