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Objectif ZAN : une nécessaire adaptation de la loi ?

Publié le 25 mai 2023

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Depuis l’adoption de la loi Climat et Résilience en juillet 2021, le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) des sols est sur toutes les lèvres, des constructeurs de maisons individuelles aux promoteurs immobiliers, en passant par les élus, les architectes, les aménageurs et les géomètres-experts. Alors que ces professions devront repenser l’aménagement du territoire et la manière de construire, nombreux sont ceux qui pensent qu’une adaptation de la loi est nécessaire pour une meilleure application. Tour d’horizon des inquiétudes que soulève cet objectif.
Objectif ZAN : une nécessaire adaptation de la loi ? - Batiweb

Inhérent à la loi Climat et Résilience, le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) vise la réduction par deux du rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030 par rapport aux dix années précédentes, puis le zéro artificialisation nette d’ici 2050. Selon Vincent Le Rouzic, directeur des études de la Fabrique de la Cité, cet objectif de densification n’est pas nouveau, mais était déjà présent dans la loi de Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) : « L'idée de sobriété foncière était déjà présente au moment de la décentralisation dans les années 1980, et elle est rappelée régulièrement. Je pense notamment à la loi SRU de 2000, et la loi Alur de 2014 », rappelle-t-il.

Pour François Rieussec, président de l’Union Nationale des Aménageurs, la loi SRU est d’ailleurs parvenue à « économiser du foncier », « puisqu’on a divisé environ par 3 la surface utilisée par logement dans les opérations urbaines ».

 

Artificialisation : la France au-dessus de la moyenne européenne

 

Cet objectif de ralentir le rythme d’artificialisation intervient alors que la France présente 9 % de surfaces artificialisées, soit plus que la moyenne européenne, estimée à 4,5 %.

Selon l’Ordre des Géomètres Experts (OGE), l’artificialisation de la France serait notamment au-dessus de pays de taille similaire comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou l’Italie, pour lesquels elle serait évaluée à environ 7 %.

« Dès 2019, France Stratégie a mis en évidence l’importance de mesurer les choses en se comparant d'un point de vue international à d'autres pays qui nous ressemblent. On est à 47 kilomètres carrés pour 100 000 habitants, c'est par exemple quasiment deux fois plus que l’Italie », souligne ainsi le directeur des études de la Fabrique de la Cité.

Si 9 % de la surface de la France est artificialisée, et que le rythme doit être ralenti – voire stoppé – il n’en reste pas moins que l’Hexagone figure parmi les pays d’Europe où la croissance démographique est la plus forte. Dans ce contexte, le ministère de la Transition écologique estime les besoins à 500 000 nouveaux logements par an. Or, comme le rappelle Arnaud Le Lan, directeur Aménagement au sein du SCET, seuls 275 000 logements ont été produits en 2022, « alors même que le ZAN n’est pas encore effectif ».

Toutefois, selon Vincent Le Rouzic, la croissance de l’artificialisation aurait été bien au-dessus de la croissance démographique entre 2006 et 2015 : « Il est vrai qu’en France, nous avons un dynamisme démographique qui est le plus important d’Europe. Mais cela n’explique pas tout. Si on prend des éléments de comparaison sur les 10 dernières années entre croissance démographique, croissance économique et croissance de l'artificialisation, les ordres de grandeur ne suivent pas. Sur la décennie 2006-2015, les surfaces artificialisées ont augmenté de 13 % en France, contre une croissance démographique de tout juste 5 %, et une croissance économique d'environ 6 %. Donc il y a bien une décorrélation entre consommation des sols et besoins socioéconomiques », souligne-t-il.

Joseph Pascual, président de l’Ordre des Géomètres Experts, pose également la question de l’agriculture, qui occupe 56 % de la France métropolitaine. Or, 26 % serait de l’agriculture intensive. Le président de l’OGE s’interroge sur le fait de considérer cette forme d’agriculture comme non-artificialisée, alors que la question s’est posée pour les parcs et jardins.

« Au sein de la ville, le tiers, ce sont des parcs et jardins. Il y a 13 millions de jardins potagers et maraîchers, qui produisent 20 à 25 % de nos fruits et légumes, donc la ville elle-même n’est pas stérile », souligne également sur ce point le président de l’UNAM.

 

Réhabilitation des logements vacants et des friches : la question du coût et de la main d’œuvre

 

Afin de s’inscrire dans les objectifs de la loi Climat et Résilience tout en répondant aux besoins démographiques et économiques, une solution évidente s’impose : utiliser les surfaces déjà artificialisées en réhabilitant les logements vacants et les friches.

« On a aujourd’hui en France 3 millions de logements vacants. Il faut se poser la question du « pourquoi ces logements sont-ils vacants aujourd’hui ? ». Parce qu’ils ne répondent pas aux attentes des Français en matière de surface, d’éclairage, etc. Cela ne veut pas dire qu’on prend ces 3 millions de logements et qu’on y loge les Français directement, cela veut dire qu’il y a une réflexion à mener sur ces logements vacants pour pouvoir les transformer, et peut-être les détruire, pour « reconstruire la ville sur la ville » », estime le président de l’OGE.

Stella Gass, directrice de la fédération nationale des ScoT, souligne que la réhabilitation de ce parc existant pose toutefois la problématique du coût, et de la main d’œuvre nécessaire : « Quels artisans pour rénover l’existant ? Est-ce que la filière artisanale est suffisamment dimensionnée pour accompagner les territoires dans ce changement de modèle ? On sera moins sur de la construction neuve, et beaucoup plus sur de la réhabilitation, et du coup comment on calibre la filière artisanale ? », s’interroge-t-elle, alors que 4,8 millions de passoires énergétiques doivent par ailleurs être rénovées, représentant 13 % du parc, pour un coût avoisinant les 450 milliards d’euros. « Aujourd’hui, on n’a pas discuté du modèle économique du financement de la rénovation du parc », poursuit-elle.

Ces mêmes questions se posent également pour la réhabilitation des friches, estimées entre 90 000 et 150 000 hectares par le Cerema. Pour ces dernières, une autre problématique s’ajoute souvent : celle de la dépollution

« France Stratégie, l’agence sous l’autorité du Premier ministre, a montré que la réhabilitation de friches coûte entre 50 et 500 € du m2, donc une fourchette très large qui met en avant que cela va du simple au décuple. C’est plus cher que le prix du foncier nu », souligne ainsi le président de l’UNAM.

 

Réinventer l’aménagement du territoire et la manière de construire

 

La loi Climat et Résilience met ainsi au défi les élus locaux et aménageurs de repenser l’aménagement du territoire de façon encore plus stratégique, et les constructeurs et promoteurs de construire autrement.

Alors que 80 % des Français souhaiteraient vivre en maison individuelle, selon une récente étude de la Fédération des Constructeurs de maisons Individuelles (FFC), le ZAN devrait mettre un coup de frein sur ce type de logement, souvent accusé d’accélérer l’étalement urbain. Afin de répondre aux attentes des Français tout en s’inscrivant dans les objectifs de la loi, les constructeurs de maisons individuelles seront obligés de réinventer leur façon de construire. « On va nécessairement devoir construire autrement. On ne peut pas travailler aujourd’hui comme on travaillait il y a 10 ans », estime le président de l’OGE.

Selon la directrice de la fédération nationale des ScoT, le défi sera également de ne pas faire de l’habitat individuel un produit de luxe réservé à une élite : « Oui, le volume de production de logements individuels en France va être impacté par la loi Climat et Résilience. La question qui va se poser c’est : comment est-ce qu’on garde le logement individuel à un coût abordable, et qu’on n’en fait pas un produit de luxe destiné à une seule frange de la population », résume-t-elle.

 

Réduire la consommation d’espace et densifier

 

Pour réinventer la façon de construire, les constructeurs de maisons individuelles devront commencer par réduire la surface sur laquelle ils construisent, mais aussi la taille des jardins. Ce qui ne devrait pas poser trop de problèmes aux Français, selon une étude de la Fabrique de la Cité. Cette dernière révèle que pour 37 % des Français, 250 m2 de jardin seraient suffisants, alors que la moyenne est actuellement à 1 000 m2.

« Aujourd’hui, une surface de jardin pour construire une maison individuelle, c’est 1 000 m², d’après les statistiques officielles du Commissariat général au développement durable. Dans un sondage national, nous avons posé la question « quelle est la taille de jardin suffisante pour les Français ? », et on a eu des réponses assez étonnantes, parce que la première réponse qui vient, c’est 37 % des Français qui nous disent qu’une taille de jardin suffisante pour eux, c’est 250 m². La deuxième réponse, c’est 34 % des Français qui veulent entre 250 et 500 m². Seuls 8 % veulent un jardin de plus de 1 000 m², donc c’est ultra-minoritaire. Il y a une majorité de Français qui veulent un terrain deux fois moins important que ce que produit aujourd’hui la filière de la maison individuelle », détaille Vincent Le Rouzic.

Selon Joseph Pascual, président de l’OGE, les mesures de densification se sont d’ailleurs déjà durcies ces dernières années : « Lorsque j’ai commencé ma carrière, on avait des règles de surfaces minimales pour pouvoir créer un terrain à bâtir. À une époque, la règle d’urbanisme du plan d’occupation des sols, c’est qu’il fallait diviser 5 000 m2 minimum, donc pour deux terrains à bâtir on avait consommé un hectare. Ensuite, ces règles ont été assouplies. Aujourd’hui, les règles d’urbanisme actuelles disent qu’il faut minimum 15 ou 30 logements par hectare, il y a des règles de densité, donc on a inversé la logique. Au lieu d’avoir une surface minimale, on a une surface maximale. Aujourd’hui on va pouvoir implanter des maisons sur des terrains de 250 m2, donc on est très loin des 5 000 m2 », nous explique-t-il.

Toutefois, selon la Fédération des SCOT, la France serait encore très loin de ses objectifs en matière de densification, avec en moyenne 18 logements par hectare, contre 40 logements par hectare à atteindre dans le cadre de la loi Climat et Résilience.

Si cette loi a pour avantage de remettre la préservation des sols et la biodiversité au cœur de l’aménagement du territoire, certains lui reprochent une vision trop « arithmétique » ou « comptable ».

 

Accompagner davantage les élus locaux

 

L’objectif ZAN cristallise également l’inquiétude de nombreux élus locaux, qui craignent un frein pour le développement de leur commune, et pour lesquels l’accompagnement, les moyens financiers, et l’ingénierie font défaut.

« Beaucoup d’élus, dont l’aménagement du territoire n’est pas leur première préoccupation, mesurent l’impact de cette loi et sont extrêmement anxieux. Cela nécessite qu’on les accompagne pour ne pas les laisser seuls face à ce sujet complexe, et qu’on remette l’aménagement du territoire comme un sujet important du mandat d’élu local, et qu’on les accompagne aussi bien en ingénierie, qu’en financements et solutions. C’est le rôle de l’État, des grandes fédérations d’élus comme l’AMF ou Intercommunalités de France, la fédération des SCOT, les agences d’urbanisme, et puis les acteurs privés ont aussi beaucoup de choses à apporter en matière d’innovations, d’ingénierie, de manières de faire », estime la directrice de la fédération nationale des ScoT

Le manque d’ingénierie est également source d’inquiétude, notamment face à l’inéquité entre les 36 000 communes françaises.

« Il y a environ 9 000 communes qui ne sont pas dotées de documents d’urbanisme, et qui sont donc sous Règlement National d’Urbanisme (RNU). Sur ces 9 000 communes, environ la moitié, donc 4 500 communes, sont en train de travailler pour élaborer un Plan Local d’Urbanisme (PLU). Mais nous devrons accompagner les 4 500 communes sous RNU dans le respect de la loi Climat et Résilience », estime notamment le président de l’OGE.

 

Propositions de loi : des adaptations nécessaires

 

Afin d’assouplir les objectifs du ZAN et mieux accompagner les élus locaux, le Sénat a émis une proposition de loi, qui doit désormais être soumise à l’Assemblée nationale.

Parmi les propositions, le droit à l’hectare – qui permettrait à chaque commune de disposer d’un hectare à artificialiser – a été accueilli de façon mitigée, accusé d’une part de remettre en cause l’objectif initial, et de l’autre de proposer une vision toujours trop « comptable ».

« Le ministre Christophe Béchu n'a pas manqué de se montrer un peu circonspect par rapport à cette proposition. Parce que quand vous avez un émiettement communal de 34 000 communes, leur accorder à chacune un droit à l’hectare, c’est quand même finalement se détourner de l’objectif initial. Souvent, il est question de ne pas critiquer l'objectif, mais de critiquer la méthode. Quand on présente un droit à l'hectare uniforme à toutes les communes, je suis désolé, mais on remet de fait en cause l'objectif. Souvent, il est question de territorialisation, mais en quoi un droit uniforme à l’hectare constitue-t-elle une réponse territorialisée ? », critique Vincent Le Rouzic.

« Je suis pour l’ambition du Zéro Artificialisation Nette, mais je trouve qu’elle est mal traduite, c’est-à-dire qu’on est renvoyés à une application très comptable et très homogène. Avec le droit à l’hectare, le Sénat sort de nouveau une mesure comptable. Là aussi, on ne prend pas en compte les contextes puisque chacun aurait le droit à un hectare », considère de son côté Timothée Hubscher, directeur des opérations du groupe Citadia.

 

Vers une approche commune par commune ?

 

Dans ce contexte, chaque profession fait ses propres propositions. Pour l’Ordre des Géomètres-Experts, l’idéal serait une approche territorialisée, commune par commune : « Nous pensons qu’il ne faut pas avoir une approche centralisée au niveau national, mais plutôt une approche contextualisée. Il s’agirait de quantifier, commune par commune, le périmètre de ce qui est déjà urbanisé, et ensuite, le ministère donnerait un pourcentage de ce qui pourra être artificialisé », propose son président.

Pour les aménageurs, l’une des propositions serait d’instaurer un « permis d’aménager bioclimatique », afin de sortir de la « dualité » : « Nous avons une proposition, qui serait d’intégrer les fonctions des sols dans les opérations, à travers la plantation d’arbres, la biodiversité à travers les haies, la fonction de stockage carbone et hydrique à travers les racines et la pleine terre. Quand on a 30 ou 50 % de pleine terre, on peut avoir plus de résilience climatique, plus d’évapotranspiration, plus de biodiversité. On est train d’outiller ce qu’on appelle « un permis d’aménager bioclimatique » », explique François Rieussec, président de l’UNAM.

Reste à savoir ce qu’il ressortira des deux propositions de loi émises par le Sénat et l’Assemblée nationale, et ce qui sera retenu ou non pour améliorer l’application du ZAN.

 

Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Adobe Stock

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