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Des projets de démolition-reconstruction soutenus par l’Anru provoquent des crispations

Publié le 26 janvier 2024

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Un regroupement national de collectifs d'habitants, d'architectes, d'urbanistes, et d'associations en France reproche à l’Anru de soutenir une politique urbaine « destructrice ». Entretien avec ses représentants et droit de réponse de l’Anru.
Des projets de démolition-reconstruction soutenus par l’Anru provoquent des crispations - Batiweb

Fin 2023, une pétition commence à circuler sur les réseaux sociaux, intitulée « Stop aux démolitions Anru ». Cet appel compte fin décembre dernier 360 signataires de tous milieux : collectifs d'habitants, d'architectes, d'urbanistes, et d'associations en France. Le samedi 18 novembre, ces collectifs se réunissent dans l’idée de former un regroupement national.
 
Leur objectif : « mettre fin à la politique actuelle et destructrice » de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (Anru). Déjà en juin dernier, des députés LFI-Nupes reprochaient une « vision technocratique qui se voulait esthétisante » au sein des quartiers populaires. Le regroupement « Stop aux démolitions Anru », quant à lui, évoque un recours excessif aux politiques de démolition-reconstruction pour recomposer le paysage urbain.
 
« On a un souhait : celui de tenir compte des avancées de la réflexion architecturale, écologique et urbaine. Il n’y a pas de temps à perdre pour modifier cette logique de démolitions qui a été appliquée ces dernières années. Il n’y a pas de justification aux démolitions auxquelles nous sommes confrontés », défend l’architecte Michel Retbi.
 

La réhabilitation des logements est-elle vraiment sacrifiée au profit de la démolition sur l’autel de l’Anru ? « On est sur un ratio d’à peu près deux-tiers de réhabilitation pour un tiers de démolition-reconstruction. On est déjà dans un rapport de force largement favorable à la réhabilitation. On est tout à fait conscient des enjeux environnementaux et du fait qu'une démolition-reconstruction a forcément un coût carbone, supérieur à une réhabilitation, mais nous prenons en compte d’autres enjeux comme les dysfonctionnements urbains dans le quartier, la qualité du bâti, l’enjeu de déségrégation sociale du quartier et de renforcement de la mixité pour décider du financement d’une démolition de bâtiment », nous répond de son côté Maxance Barré, directeur du cabinet de l’Anru.

 

Au quartier du Mirail à Toulouse, un projet de démolition sème l’incompréhension

 

Mais des projets de démolition soutenus par l’Anru demeurent incompréhensibles pour le collectif « Stop aux démolitions Anru » : le quartier du Mirail à Toulouse. Ce dernier dénombre 1 421 logements répartis sur sept immeubles, imaginés par Georges Candilis. La destruction des bâtiments court d’aujourd’hui jusqu’à 2030.



« Même les partenaires de l’USH qui sont impliqués de force dans ce projet rejoignent nos motivations à changer cette dynamique de démolition », commente Michel Retbi. Selon Claire Martin, architecte DE, il s’agit d’un « gâchis écologique, économique, architectural, patrimonial, humain, alors que la qualité de ces logements est étudiée dans plein d'écoles d'architecture dans le monde ». « La qualité principale, c'est le côté traversant, lumineux et spacieux. À titre d'exemple, un T2 fait 66 m². Ils ont des loggias sur chacune de leurs façades, donc des espaces extérieurs », nous expose-t-elle.
 
Le coût d’une démolition-reconstruction s’élèverait à 280 millions d’euros selon Mme Martin, « plus précisément, 88 millions de démolition, 192 millions de reconstruction. En sachant qu'avec ces sommes, on pourrait réhabiliter tous les logements de George Candilis et même peut-être en construire d’autres ».
 
« Ce qui est faramineux, c’est aussi la prise au sol », abonde Jean-Pierre Sirvin. « En tenant compte des logements qui vont être démolis, la prise au sol est de 10 000 m². La prise au sol du projet de Toulouse métropole, elle, est de 38 000 m². Donc il y a 28 000 m² qui vont être dilapidés, pour le même nombre de logements. En termes de bilan carbone c'est totalement négatif, y compris pour la qualité de vie. Au Mirail, il y a un environnement végétal qui est absolument fabuleux, sans équivalent à Toulouse. Et cela va être démoli. C’est inacceptable ». Le quartier compte en effet 780 arbres septuagénaires, ce qui conserve des îlots de fraîcheur dans cette ville du Sud de la France.

Une réhabilitation suffisante pour certains quartiers ?
 

La démolition du quartier du Mirail n’est pas le seul projet de démolition à provoquer des crispations. Les architectes signataires de la pétition « Stop aux démolitions Anru » relèvent le quartier de l’Alma-Gare à Roubaix, la Maladrerie à Aubervilliers ou la Butte rouge à Châtenay-Malabry.


 
« On n'est pas contre toutes les démolitions. Ce que nous disons, c'est qu’il faut une évaluation » en tout cas pour le quartier du Mirail, insiste Michel Retbi. « La première chose qu'on a demandée, c'est un moratoire, pour que cette évaluation d’une possible réhabilitation se fasse sereinement en faisant confiance aux architectes et aux urbanistes ». D’autant qu’« au Mirail, il y a un immeuble, l'immeuble Cambert qui a été réhabilité en 2017 aussi, qui fait partie des immeubles menacés de démolition», ajoute Claire Martin.
 
S’il ne s’exprime pas sur les projets cités, Maxance Barré de l’Anru peut trouver différentes raisons à un projet de démolition. « Parfois parce que le bâtiment n'est tout simplement plus viable, la construction a été mal faite ou alors elle ne permet pas d'avoir une réhabilitation thermique et énergétique permettant d'augmenter la performance des bâtiments. Ou alors il y a des dispositifs de construction rendant les bâtiments difficiles à restructurer. Une démolition peut aussi répondre à des dysfonctionnements urbains, notamment pour ouvrir un certain nombre de quartiers dont les constructions, notamment sur dalle, ont tendance à les refermer sur eux-mêmes. Cela peut permettre parfois de libérer du foncier », explique le directeur de cabinet de l’agence.
 
Pourtant les raisons avancées par M. Barré ne semblent pas s’appliquer pour le Mirail. « Les façades ne font pas partie de la structure. Elles sont perpendiculaires ce qui veut dire qu’elles sont légères. Il n’y a donc pas de problème de structure au niveau de la rénovation énergétique, au contraire », souligne Michel Retbi.  Sans compter l’inertie du béton utilisé pour les structures, pouvant contribuer au confort d’été, d’après l’architecte.
 
Il n’empêche que pour d’autre quartiers, la réalité n’est pas la même. « Les habitants des quartiers populaires vivent un tel paradoxe : ils sont à la fois ceux qui sont le moins émetteurs d'émissions de CO2 et de gaz à effet de serre, mais ce sont à la fois celles et ceux qui sont le plus impactés par le changement climatique », nous confie Maxance Barré.
 
« Les quartiers sont à proximité d’échangeurs routiers et sont parfois caractérisés par un urbanisme de dalle qui empêche tout îlot de fraîcheur. Je pense qu'il faut aussi faire attention à ne pas faire peser le coût seulement de la transition écologique, sur celles et ceux qui sont les plus fragiles dans notre pays et qui parfois ont le droit à une construction neuve. Il y a des bâtiments dans des quartiers, même réhabilités, dans lesquels vous n’avez pas envie de vivre », observe le directeur de cabinet de l’Anru.
 
Et de poursuivre : « Les fondements mêmes de la construction ne permettent pas d'avoir une réhabilitation thermique qui soit satisfaisante. Il y a des typologies de pièces qui ne correspondent plus aux besoins. Si vous prenez par exemple l'Île-de -France ou la Seine-Saint-Denis, un département sur lequel on intervient le plus, il y a encore beaucoup de familles nombreuses, donc des besoins de logements avec beaucoup de chambres, etc. ».

Le montant moyen du budget réhabilitation de l’Anru quadruplé

 

Selon M. Barré, les 450 projets de renouvellement urbain de l’Anru seraient « cousus main ». Il mentionne également la restructuration et la rénovation énergétique des Tours nuages à Nanterre, imaginés par Émile Aillaud.
 
« On est sur des montants de financement au logement qui sont économiquement très élevés. Selon les typologies de bâtiments, selon leur qualité architecturale, on atteint parfois des coûts de réhabilitation/restructuration à 110 000, 120 000, 130 000 euros au logement », nous décrit-il.


Au cours du premier programme PNRU entre 2004 et 2021, le montant moyen consacré à la réhabilitation a été multiplié par quatre. « Au début du programme, c’étaient des réhabilitations très légères - comme un coup de peinture - donc on mettait 4 000, 5 000, 6 000 voire 7 000 € au logement. À la fin, on était quasiment 30 000 € au logement. On est passé vraiment de la réhabilitation légère à des restructurations. Quitte à réhabiliter un logement, changeons les pièces d'eau pour qu’elles soient plus adaptées aux usages d'aujourd'hui », détaille Maxance Barré.
 
Le directeur de cabinet de l’Anru soulève également des tensions politiques autour de ces projets de renouvellement urbain : « Suite aux élections municipales de 2020, il y a un certain nombre de collectivités qui ont changé de majorité et ont souhaité revoir un certain nombre de projets de renouvellement urbain. Notamment pour privilégier les réhabilitations ou les démolitions. À Grenoble, un certain nombre de démolitions qui ont été annulées pour privilégier des réhabilitations, parfois avec de vrais partis pris par les collectivités territoriales. Partis pris sur lequel l’Anru a suivi le maire et le président de l'agglomération ».
 
« L’Anru essaie d'être un facilitateur mais sans jamais non plus se substituer à celles et ceux qui sont élus démocratiquement : les élus locaux. Ils sont les porteurs de projets et viennent demander un soutien opérationnel et financier à l’Anru pour mettre en œuvre des projets de renouvellement urbain. Ce sont eux qui les portent, se concertent avec leur population et qui ont la responsabilité de faire en sorte que ces projets soient partagés par l'ensemble des parties prenantes », défend-il.

Une politique urbaine hostile aux logements sociaux ?

 

Autre crainte exprimée dans la pétition « Stop aux démolitions Anru ». L’agence aurait assujetti son financement à la démolition de 164 000 logements sociaux pour n’en reconstruire que 142 000, soit plus de 20 000 logements sociaux en moins. Des chiffres à prendre avec des pincettes nous avertit Maxance Barré.
 
« À ces logements sociaux, il faut ajouter un peu plus de 80 000 logements en diversification dans les quartiers, qui permettent notamment de travailler la mixité sociale. Sur le premier programme PNRU, il y a 80 000 logements intermédiaires, donc en diversification. Cela peut être du loyer intermédiaire, cela peut être de l'accession sociale à la propriété. Pour le nouveau PNRU, on est aussi sur 80 000 logements en construction », nuance le directeur de cabinet de l’Anru.
 
Aussi : « Le différentiel s’explique par un certain nombre de quartiers qui sont en zone très détendue. La règle de l’Anru, c'est le principe du un pour un, donc un logement social démoli vaut à un logement social reconstruit avec la volonté pour participer aux efforts de la loi SRU, avec la volonté que ces logements sociaux soient reconstruits plutôt dans les territoires qui n’en comptent pas dans l'aire urbaine du projet de renouvellement urbain », abonde-t-il. Et de citer l’exemple de Nevers, où le « taux de vacance est très fort sur le parc social, et là nous ne sommes plus sur une règle de un sur un. Autrement dit, lorsque l'on démolit 3 logements sociaux, on va en construire plus que 2 ».
 
Pour autant, l’Anru se soucie du coût architectural, émotionnel et carbone généré par les projets de démolition-reconstruction. « On n'est évidemment pas sourd à ces contestations. Elles ne sont pas nouvelles. Il y a effectivement le collectif Stop démolition Anru, mais on a aussi des échanges avec la Confédération nationale du Logement ou avec l’Appuii, qui sont aussi des organisations aux discours semblables », assure M. Barré.
 
Reste à savoir si l’agence participera aux échanges organisés par le regroupement « Stop aux démolitions Anru » à Paris le 7 février prochain. L'Anru nous apprend cependant qu'une rencontre entre le collectif et la direction générale de l'agence aura lieu d'ici fin janvier/début février. 


 
Propos recueillis par Virginie Kroun

Photo de Une : Adobe Stock

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