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Face aux TMS, la tentation de l’exosquelette

Publié le 28 novembre 2023

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Alors que les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont la première cause de maladie professionnelle dans le BTP, les entreprises ont tout intérêt à s’investir dans la prévention, voire à investir dans des exosquelettes pour préserver leurs salariés, dans un contexte de pénurie de main d’œuvre. Les explications de Pascal Girardot, ergonome et spécialiste de l’usure professionnelle au sein de l’OPPBTP, Antoine Noel, co-fondateur de Japet, et Loïc Fouvet, chef de produit chez Hilti.
Face aux TMS, la tentation de l’exosquelette - Batiweb

C’est une problématique bien connue dans le secteur du BTP : les troubles musculo-squelettiques (TMS), qui affectent ponctuellement, voire de façon chronique, certains salariés soumis à des postures et des gestes répétitifs et contraignants.

« Quand on parle de troubles musculo-squelettiques, la problématique ne vient ni du muscle ni du squelette, mais plutôt de ce qui les relie. Tout serait dans le trait d’union de "musculo-squelettique" », définissait Pascal Girardot, ergonome et spécialiste de l’usure professionnelle, lors du lancement de la dernière campagne de l’OPPBTP consacrée aux TMS.

Selon lui, ces maux concerneraient toutes les tranches d’âges : « Il suffit de 20 minutes sur une tâche particulière suffisamment sollicitante pour développer une tendinite. Donc il n’y a pas forcément besoin d’être exposé très longtemps. En revanche, c’est sûr qu’il y a des pathologies plus "dégénératives", qui vont toucher des gens qui ont plus de 10 ans d’activité sur la même tâche », nous précise-t-il.

Outre les facteurs « biomécaniques » liés à l’effort ou à la répétition du geste, d’autres facteurs interviennent, dont ceux liés à la dimension « psychosociale » du travail, qui font qu’à un moment donné, entre deux salariés exposés aux mêmes sollicitations mécaniques, « il y en a un qui va développer des TMS et pas l’autre », constate Pascal Girardot.

 

Les TMS, première cause de maladie professionnelle dans le BTP

 

Selon les chiffres de la Caisse nationale d’assurance maladie, le BTP serait le deuxième secteur le plus touché par les TMS, derrière le secteur du bois et de l’ameublement. Au sein du BTP, les TMS représenteraient la première cause de maladie professionnelle, avec en premier lieu les problèmes de dos.

Les peintres, les menuisiers, les maçons, les carreleurs, et les couvreurs étant les professions les plus touchées. À l’inverse, les électriciens et les plombiers-chauffagistes seraient les moins sujets à ces maux.

Pascal Girardot nous explique que ces TMS peuvent être soit déclarés en accident du travail, soit en maladie professionnelle, avec une différenciation parfois délicate : « Par exemple, un jour on soulève un parpaing et puis d’un coup on ressent une vive douleur dans le dos. Ce n’est évidemment pas ce seul parpaing qui l’a généré, mais le cumul avec tous ceux soulevés avant, et pour autant c’est celui-là qui va entraîner la déclaration d’accident de travail », illustre-t-il.

 

Des entreprises qui ont tout intérêt à investir dans la prévention

 

Interrogé sur la prise de conscience des entreprises du BTP vis-à-vis de la prévention de ces TMS, Pascal Girardot, estime que tous les chefs d’entreprise du secteur ont déjà entendu parler des TMS, et tentent de mettre des solutions en place même s’ils expriment parfois un manque de moyens, de temps ou de compétences sur le sujet. Il y aurait notamment une différence entre les grandes entreprises ayant des ressources formées et dédiées à ce sujet en interne, et les plus petites entreprises ne sachant pas exactement par où commencer.

« On comprend qu’un chef d’entreprise qui est face à la question des TMS soit un peu démuni parce que c’est une question complexe », reconnaît Pascal Girardot.

Toutefois, cette problématique serait à prendre en compte par les entreprises pour attirer, et surtout garder et préserver leurs salariés, notamment dans le contexte actuel de pénurie de main d’œuvre :

« De plus en plus, les salariés ne vont plus aller travailler dans les entreprises qui n’ont pas de démarche orientée autour de la santé, surtout pour un travail physique. Aujourd’hui les salariés - surtout les jeunes générations - ne veulent plus se casser le dos comme leurs parents. Ces investissements deviennent nécessaires sinon il y a un fort turn-over, et dans un contexte de difficultés de recrutement, ça ne fonctionne pas », remarque Antoine Noel, co-fondateur de l’entreprise Japet, spécialisée dans les exosquelettes.

« On voit de plus en plus de jeunes qui disent "Attendez, moi je commence mon boulot et je veux pas finir comme celui-là", en montrant le sénior de l’équipe qui n’arrive plus à lever les bras à l’horizontale. Ce sont des jeunes qui disent "je veux rentrer dans le BTP parce que ce sont des métiers qui m’intéressent. Pour autant, je n’ai pas envie de finir cassé" », abonde Pascal Girardot.

 

Les exosquelettes, une solution intéressante pour certains cas ciblés

 

D’abord issus du milieu médical, les exosquelettes se multiplient sur le marché depuis une dizaine d’années. Certains fabricants - comme Japet - se sont diversifiés vers le maintien en emploi, constatant un besoin de la part de nombreuses entreprises.

« Initialement, notre premier exosquelette n’était pas du tout adressé pour le domaine de la santé au travail. Il était adressé pour la rééducation des patients dans les hôpitaux. Notre objectif, c’était de soulager ces patients, c’était vraiment un dispositif médical. Rapidement, on s’est rendu compte qu’il y avait une forte demande pour le maintien en emploi», témoigne le co-fondateur de Japet.

« On a commencé par du maintien en emploi dans le domaine du BTP, par exemple pour des maçons, puis progressivement on a commencé à trouver quelques cas d’usage dans ce secteur, par exemple pour des terrassiers, des charpentiers, des menuisiers. Aujourd’hui, ce sont des expertises très valorisées sur lesquelles on a du mal à trouver de la main d’œuvre. On sait que la population active est vieillissante en France, et que la plupart des entreprises ont beaucoup de mal à recruter. Donc aujourd’hui, investir dans un exosquelette, c’est aussi un moyen de sécuriser ses équipes, et d’éviter qu’elles ne partent à cause de problématiques physiques », explique-t-il.

Pascal Girardot rappelle que, malgré leur intérêt, les exosquelettes ne doivent pas être une solution de première intention, mais instaurés en dernier recours, et de manière très spécifique selon les métiers : « On va inviter les entreprises à ne se tourner vers les exosquelettes qu’après avoir exploré d’autres pistes en matière d’organisation, d’autres pistes techniques et collectives, avant de rentrer sur des solutions individuelles, comme les exosquelettes », précise l’ergonome.

Antoine Noel cite également le travail réalisé par l’Institut National de Recherche en Santé (INRS), recommandant de procéder en plusieurs étapes : « Déjà, il faut identifier un poste de travail sur lequel on n’a pas réussi à mettre en place de démarche de prévention collective, d’automatisation etc. Donc vraiment en dernier recours, quand on n’a pas réussi à adapter le poste de travail, effectivement, cela vaut le coup de regarder les exosquelettes. Une fois qu’un ou deux exosquelettes ont été sélectionnés, il faut d’abord les tester sur une journée pour obtenir des retours des utilisateurs, et voir s’il n’y a pas de contraintes. Ensuite, ce qui est super important, c’est d’accompagner la mise en place de ces solutions », estime le co-fondateur de Japet, qui précise que Japet impose cet accompagnement sur 1 mois, bien qu’il préconise de l’allonger à 6 mois.

 

Actifs, passifs, textiles… les différents types d’exosquelettes

 

Concernant les différents types d’exosquelettes, Loïc Fouvet, chef de produit Europe diamants lourds et exosquelettes chez Hilti, rappelle l’existence de trois grandes familles d’exosquelettes : les actifs, les passifs, et les textiles. « Il y a les exosquelettes passifs, qui fonctionnent avec des systèmes mécaniques, des systèmes de tendeurs, des systèmes vraiment très simples qui s’appuient finalement sur la personne elle-même, et sur sa force pour la redistribuer. Ensuite, il y a les exosquelettes actifs, qui sont actionnés par des batteries ou d’autres systèmes un peu plus puissants, mais aussi souvent plus encombrants. Et enfin, il y a les systèmes d’exosquelettes textiles, qui permettent généralement de corriger la posture, comme par exemple les ceintures lombaires », énumère-t-il.

C’est le cas de l’exosquelette proposé par Japet, à la fois textile et actif : « C’est une ceinture lombaire bionique, qui va soutenir de manière active la partie lombaire dans les postures et mouvements. L’intérêt, c’est un rôle d’amortisseur. On va venir soulager près de la moitié du poids qui habituellement écrase la colonne vertébrale, tout en libérant la mobilité », présente Antoine Noel. « L’intérêt de la batterie et des moteurs, c’est que l’exosquelette va venir s’adapter aux différentes postures, aux différents mouvements. Les moteurs vont adapter la charge et le soutien, là où un exosquelette passif n’allait pas s’adapter si on porte 5 kilos, 15 kilos, ou 30 kilos », ajoute-t-il.

La ceinture lombaire Japet.W+

Hilti a de son côté commencé par lancer un premier exosquelette passif en 2021 : l’Exo O-1, visant à soulager le travail au-dessus des épaules et à réduire jusqu’à 5,5 kilos le poids dans les bras, et donc particulièrement adapté pour la pose de faux-plafonds, le ponçage, ou encore les installations de câbles, conduits et canalisations. Après avoir pris en compte les retours d’utilisateurs durant deux ans, le fabricant a lancé en 2023 l’« Exo-S », une deuxième version plus « robuste », mais aussi plus « confortable », « ajustable » et « design ». À noter notamment : l’ajout de trois points d’ajustement, et d’un support de cou, pour soulager les cervicales lorsque l’utilisateur travaille la tête en l’air.

L'exosquelette Exo-S d'Hilti

Pour 2024, Hilti prépare la sortie d’un nouvel exosquelette actif : « l’exosquelette T », un « équilibreur d’outils » fonctionnant sur le principe d’une « grue », et particulièrement adapté pour les personnes faisant du forage, du piquage, et de la démolition en série.

« L’objectif va être, à travers un système de poulie, de venir équilibrer et réduire le poids de l’outil que l’utilisateur a sur les mains. En fait, cela fonctionne tout simplement comme une grue. Cela vient annuler le poids de la machine que l’on supporte avec les bras, et cela vient le transférer dans le bas du dos. Cet exosquelette sera capable de compenser jusqu’à 17 kilos, qui est le poids de notre plus gros burineur », détaille Loïc Fouvet.

L'exosquelette T d'Hilti

Des études à mener pour étudier l’impact des exosquelettes sur le long terme

 

Mais quid de l’impact de ce report de charge sur une autre partie du corps ? Les exosquelettes ne risquent-ils pas de nuire sur le long terme ?

C’est à cette problématique que tentent de répondre de nombreux ergonomes, parmi lesquels Pascal Girardot, mais aussi les fabricants eux-mêmes, soucieux de proposer des exosquelettes qui améliorent la santé et ne nuisent pas aux utilisateurs.

« Aujourd'hui, on n’a forcément pas assez de recul pour savoir les effets qu'il y aura, mais en tout cas c'est étudié pour être ergonomique et indolore. C'est du report de charge, mais il ne faut pas que ce soit du report de douleur, donc tout est fait pour qu’à la fin ça ne soit pas du tout nocif, et qu'on ne déplace pas juste le problème », assure le chef de produit d’Hilti.

Dans ce contexte, Hilti et l’OPPBTP ont lancé une étude dont les résultats sont attendus d’ici la fin du 1er trimestre 2024.

 

Des solutions plus ou moins bien accueillies

 

Comme pour la prévention au sens large, l’intérêt pour les exosquelettes est assez variable selon les entreprises et les salariés. Les entreprises intégrant un pôle QSE ou prévention seraient davantage « friandes » de ces solutions, notamment parce qu’elles disposent de chiffres précis sur ce que leur coûte les TMS en termes humain et financier. En revanche, d’autres entreprises verraient de leur côté un moyen d’améliorer la productivité, ce qui ne serait clairement pas la bonne intention de départ, selon Pascal Girardot.

Côté salariés, les plus favorables à l’intégration de ces solutions seraient les séniors ayant souffert de TMS, mais aussi les jeunes déjà sensibilisés et soucieux de préserver leur santé.

« Il y a des gens qui ont fait pendant 20-30 ans le même métier et qui vont être cassés. Ce sont des gens qui vont rentrer chez eux, qui vont avoir mal au dos, aux bras, aux articulations, et qui doivent encore travailler avec le report de la retraite. Ces générations plus âgées paient aujourd’hui le prix du manque d’investissement dans la prévention, et donc ce sont des gens qui vont être moteurs dans l’intégration de ces solutions. Ils vont recommander ces solutions en interne, notamment aux plus jeunes générations, en leur disant « attention, si tu ne veux pas finir avec le dos cassé en deux, les épaules en vrac… je te recommande d’utiliser ce genre de solutions », constate le co-fondateur de Japet.

Les trois spécialistes notent toutefois des réactions très différentes selon les personnalités et « la culture de l’entreprise », avec des séniors prônant parfois « le travail à l’ancienne », ou bien des jeunes récalcitrants à l’idée d’avoir une « aide ».

« Certains se voient un peu comme des travailleurs diminués ou réduits s’ils utilisent ce genre de solutions », note Loïc Fouvet.

« Disons qu’il y a encore un peu un choc de générations », résume le chef de produit chez Hilti. « Mais c’est de plus en plus en train de changer, et le marché des exosquelettes en général est encore très jeune et récent. Je pense que d’ici quelques années on commencera à le voir vraiment exploser ».

 

Une démocratisation qui passe par une baisse des coûts

 

Pour accélérer cette démocratisation, la question du prix de tels exosquelettes est bien évidemment un sujet primordial. Si les tous premiers exosquelettes coûtaient plusieurs centaines de milliers d’euros, voire dépassaient le million d’euros, l’exosquelette proposé par Japet coûte aujourd’hui entre 7 000 à 8 000 €, et l’Exo-S d’Hilti, 1 800 €, soit un prix jugé « acceptable » par les entreprises sondées, selon le fabricant.

« Ce qu’on peut évaluer, c’est que d’ici 2 à 5 ans, les exosquelettes coûteront moitié moins cher, et que tous les 2 à 5 ans, ce sera divisé par deux globalement. Donc je pense que d’ici 10 ans, ça fera partie intégrante du quotidien de certaines professions », conclut le co-fondateur de Japet, qui précise que l’Assurance Maladie, l’Agefiph et la Carsat proposent aujourd’hui certaines aides au financement, notamment dans le cadre du maintien en emploi.

 

> Consulter le dossier spécial Prévention dans le BTP

 

Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Hilti

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