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Bercy, la forteresse des finances

Publié le 03 mai 2002

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La décision d’installer les fonctionnaires des finances à Bercy fut prise deux mois après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Symbole d’un état dans l’Etat la citadelle sur pilotis reste aujourd’hui la marque d’une indépendance ambiguë

Bercy, la forteresse des finances - Batiweb
Curieuse ou nostalgique République qui un peu plus de deux siècles après la Révolution a toujours des rêves monarchiques. On ne peut s’empêcher, en effet, de constater que la plupart de nos ministères sont des palais d’Ancien Régime où vécurent princes, ducs et autres maîtresses illégitimes. Aussi, quand la nécessité, pour cause de modernité, les rend à une retraite bien méritée, nos très démocratiques élus sont soudain saisis d’une frénésie de grandeur. Le ministère des Finances, chacun le sait, est un Etat dans l’Etat. Et comme tel, c’est au Louvre même, La résidence des rois par excellence, qu’il trônait, superbe et dominateur. L’idée d’un déménagement germa, une première fois, sous De Gaulle, mais l’affaire tourna court. Et le temps passa. Mais l’idée courait toujours. Il fut alors question du palais de l’Unesco, mais les fonctionnaires internationaux s’y opposèrent. C’est alors François Mitterrand qui, fraîchement élu à la Présidence, décida que la fiction deviendrait réalité. Mais voilà, Paris était sous l’autorité d’un certain Jacques Chirac. Serait-ce un obstacle ? Pas du tout. Jacques Chirac collabora aussitôt avec le Président au motif qu’il fallait sortir du conflit Etat-Ville. Ceci acquis, restait la question de savoir où. Mitterrand commença par proposer le quai Branly, mais J.Chirac opposa son refus. Avait-il déjà en tête son surréaliste musée des Arts premiers ? En revanche, la Ville, disposait d’un terrain de 5 hectares à Bercy, qui répondait au désir de la municipalité de rééquilibrer l'Est parisien. Et François Mitterrand accepta, le 3 mars 1982.
Restaurants, salles de sport, logements spéciaux et ligne RER…
L’affaire conclue, il restait à convaincre les fonctionnaires dudit ministère. Depuis toujours, ceux-ci se considèrent comme l’élite de l’élite au sein de l’appareil d’Etat. Rien ne pouvait donc échapper à leur consentement. Ici, les privilèges sont exorbitants. Si les syndicats et le personnel s’inclinèrent, ils n’en posèrent pas moins leurs conditions. Elles sont coquettes et si tous les fonctionnaires de la République agissaient de même, l’argent des contribuables n’y suffirait pas. Les voici : aucun des 5 000 employés du ministère ne travaillerait à moins de 5 mètres d’une façade, ils disposeraient de multiples salles à manger, de salles de sport et de détente, de parkings, tandis que des milliers de logements seraient mis à leur disposition à Marne La Vallée, reliée à Bercy par la ligne A du RER. Et l’Etat s’inclina. Autre fait peu banal, le coût de l’édifice serait supporté par le ministère lui-même. Le principe acquis, il ne restait plus qu’à trouver l’architecte, car l’emplacement n’était pas facile à gérer. En effet, deux petits bâtiments à fronton datant de la Restauration, étaient protégés par les Monuments historiques. Et il fallait détruire l’ancienne "barrière d’eau" de la Râpée. On lança un concours comme le veut l’usage. Les candidats se précipitèrent, assurés qu’ils étaient d’être payés. Ils furent 37 au départ et 4 à l’arrivée. Ni Chirac, ni Mitterrand n’étaient d’accord, mais le Président, bon prince, décida de s’en remettre au choix du maire. Ce qu’il regretta néanmoins par la suite. Et c’est ainsi que le projet atterrit entre les mains des architectes Paul Chemetov et Borja Huidobro.
Une immense barrière de péage
Le bâtiment projeté était composé de verre et d’acier et rompait avec l’harmonie traditionnelle des grands ensembles, qui veut que ceux-ci s’étalent en suivant le cour de la Seine. Ensuite, divers détails firent l’objet de discussion. Les architectes avaient prévu une grande cour pour les manifestations (modernité oblige). Mais les pompiers, pour des raisons de sécurité lors des manifestations (internes…), la firent supprimer. Pour renforcer cette forteresse, toutes les portes furent conçues pour résister au choc des camions et des douves longeant la façade, finirent d'affiner l'image défensive du ministère. On poussa même cette frénésie sécuritaire jusqu’à installer un héliport sur le toit et un port où en permanence, une vedette et son équipage peuvent prendre le large par la Seine. Bref, ce projet devait voir le jour en quatre ans, de 1984 à l’été 1988. Mais la première cohabitation vint ! Et un obstacle surgit qui s’appelait Edouard Balladur. Le nouveau ministre des Finances refusa catégoriquement de quitter le Louvre. Pour ce dernier, seul un authentique palais pouvait recevoir la comptabilité nationale et surtout son ministre. Aussi, n’est-ce qu’en 1989 que les fonctionnaires déménagèrent définitivement à Bercy, le 15 juin exactement. Avec ses 216 000 mètres carrés de bureaux, c’est le bâtiment le plus important d’Europe. Cette barre de 357 mètres, coupant le rythme horizontal des berges s’affirme désormais comme la porte monumentale de l’Est parisien. Les critiques, on s’en doute, fusèrent. On parla d’architecture néo-stalinienne, d’autres y virent l’expression même de "la force tranquille". Pour la plupart cependant, La barre de Bercy se présentait comme la plus grande barrière de péage jamais construite. Une chose reste aujourd’hui certaine, cette architecture enserrant un lieu clos, a su réaffirmer avec force le sentiment des fonctionnaires d’appartenir à un état différent, une autre France en quelque sorte.

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