ConnexionS'abonner
Fermer

Comment fait-on entrer quatre éléphants dans une voiture ?

Publié le 20 mars 2008

Partager : 

Peut être connaissez vous cette blague enfantine qui reflète malheureusement assez fidèlement le dilemme auquel l'humanité va devoir faire face prochainement. Les crises écologiques et sociales se font plus nombreuses chaque jour à mesure que la catastrophe approche. Le concept d'empreinte écologique, qui est un indicateur visant à traduire de manière facilement compréhensible l'impact d'activités humaines sur les écosystèmes et la planète , est assez révélateur de ces crises (tout en occultant leur diversité).
Comment fait-on entrer quatre éléphants dans une voiture ? - Batiweb
Tout d'abord, l'empreinte écologique des pays marque une inégalité entre pays du Nord et du Sud. Alors que l'empreinte écologique soutenable que ne devrait pas dépasser chaque pays pour que la Terre puisse supporter notre présence est de 15, l'empreinte écologique des USA est de ... 109, celle du Canada 83, celle de la France de 65, etc. Dans un même temps, l'empreinte écologique de la Chine est de 12,5, celle de l'Inde de 5, celle du Burundi de 1,5. Les riches prennent donc plus que leurs parts. Plus inquiétant encore, l'empreinte écologique de l'humanité s'élève à 21, ce qui signifie que nous consommons plus que ce que la planète peut supporter, au détriment des générations futures.

Mise devant le mur des limites écologique, l'humanité doit donc trouver des solutions. Le développement durable, dont la définition est apparue en 1987 dans le Rapport Brundtland de la "Commission mondiale sur l'environnement et le développement", est une des solutions proposées. Si près de 60% des Francais ont déjà entendu parler du Développement Durable, seuls 16% d'entre eux savent réellement ce qu'il signifie.

Le developpement durable, une notion ambigüe

On ne peut pas vraiment en vouloir aux français de ne pas connaitre la signification réelle de ce concept. En effet l'expression même est trompeuse, car elle mêle deux termes qui semblent contradictoires (on parle d'oxymore). Le développement durable est-il un développement dans la durée ? Le sénateur Marcel Deneux a bien compris l'intêret d'une telle expression : "de prime abord, le concept de "développement durable" peut rallier à peu près tous les suffrages, à condition souvent de ne pas recevoir de contenu trop explicite". Il faut dire que réussir le tour de force de rallier écologistes, politiques et industriels mérite le respect. Voici la définition donnée dans le rapport Brundtland : « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de " besoins ", et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. »

Le développement durable vise donc la satisfaction des besoins présents. L'idée de besoin est nécessairement subjective, ce qui pose problème. Qui doit donc juger des besoins d'une population ? Il semble naturel que ce soit les populations elles-mêmes, ce qui peut entraîner des disparités. Il semble de toute façon inévitable que ces besoins se situent en dessous d'une empreinte écologique soutenable. La population des État-unis serait-elle prête à réduire ses besoins par 7 ? À en juger par le célèbre "notre mode de vie n'est pas négociable" de George Bush sénior, on peut en douter (au moins d'un point de vue politique). De plus comment réduire l'empreinte écologique alors même que le développement l'accentue (on remarque une corrélation entre le PIB d'un pays et son empreinte écologique ? Comment réussir ce tour de force ? De plus, le développement des "plus démunis" ne va pas s'en poser de questions, car c'est considèrer le développement (toujours associé au développement économique) comme source de progrès, ce qui peut être perçu comme de l'ethnocentrisme, voire une forme de neo-colonialisme.

"Le développement durable, c'est tout d'abord produire plus d'énergie, plus de pétrole, plus de gaz, peut-être plus de charbon et de nucléaire ...

... et certainement plus d'énergies renouvelables. Dans le même temps, il faut s'assurer que cela ne se fasse pas au détriment de l'environnement.". Cette phrase prononcée par Michel de Fabiani, président de British Petroleum France, est assez révélatrice de ce qui se cache derrière le développement durable. En effet, elle fait echo à la nécessité de satisfaire les besoins présents, sans cesse accrus par une société de croissance. Ce qu'il faut voir derrière cette phrase, ce n'est pas tant l'opposition caricaturale entre des termes comme "pétrole" ou "nucléaire" et "environnement", mais bien l'accumulation des "plus", même lorsqu'il s'agit d'alternatives renouvelables. Dans développement durable, il y a d'abord développement.

Comment donc concilier le développement et l'environnement ? En repoussant les limitations de nos techniques, comme le suggère le rapport Brundtland, c'est à dire produire des technologies "vertes". Loin de décontenancer nos industriels, les technologies vertes fournissent un terrain d'innovation et de compétitivité. Et voici venu le temps des énergies vertes et des voitures propres. À l'air du développement durable, et par le tour de force du marketing publicitaire, utiliser un sac plastique ou prendre sa voiture devient presque un geste écologique (Ainsi on peut lire sur une publicité pour une voiture, "Emission de CO2 : 177 gr/km = respect de l'environnement".

Un autre phénomène est beaucoup plus inquiétant, celui de l'effet rebond. L'effet rebond est "l'augmentation de consommation liée à la réduction des limites à l'utilisation d'une technologie'' [8]. On peut citer par exemple la baisse de consommation des automobiles. Cette réduction permet d'équiper les voitures de climatisation de série, ce qui entraîne une surconsommation de carburant. On peut aussi envisager d'aller plus loin (car la limitation d'un plein est réduite, sur le plan kilométrique et financier). Un autre effet rebond est celui de l'informatique et d'internet. Ces technologies qui devaient reléguer le papier au rang du silex, n'a fait qu'augmenter leur utilisation (à cause de l'information plus importante et accessible). L'effet rebond est largement présent dans notre société, car seule une organisation radicalement différente permettrait de sortir du cercle vicieux. On peut par exemple prendre en compte le coût réel du carburant et des automobiles (infrastructures, pollution, insécurité routière), tout en améliorant le réseau des transports en commun ou peu polluants (trains, tramways, réseau cyclable). S'agirait-il des limitations de l'organisation sociale dont parle le rapport Brundtland ? Mystère ... En tout cas force est de reconnaître que le concept de développement durable "réellement existant" ne propose aucune organisation sociale qui irait vers plus de sobriété (et donc moins de développement !), au contraire ...

"Le développement durable n'est ni une utopie ni même une contestation, mais la condition de survie de l'économie de marché."

Le PDG de renault, Louis Schweitzer, l'a bien compris. Il semble que le véritable but du développement durable soit la conservation du système actuel. C'est d'ailleurs l'interprétation que l'on pourrait faire du développement durable : la durée du développement. Pour Paul Ariès, le développement durable, c'est "polluer un peu moins pour polluer plus longtemps". Peut-on raisonnablement penser que les crises écologiques et sociales peuvent être réglées par le développement, la croissance, le capitalisme, le libéralisme ? Sur ce point, on peut se référer à l'analyse de Jean Pierre Tertrais dans "Du Développement à la Décroissance" : "La question fondamentale apparaît clairement : quelle organisation sociale permettra d'accueillir favorablement trois milliards d'individus supplémentaires, tout en réduisant notre consommation d'énergie et de matières premières ? La réponse est aussi limpide : celle qui se fixera comme objectif prioritaire la disparition du capitalisme. Ce système a suffisamment démontré sa nocivité : alors qu'il a généré une croissance économique gigantesque au point de compromettre les grands équilibres de la planète, il condamne aujourd'hui la moitié des habitants de cette planète à vivre avec deux dollars par jour.

Faudrait-il donc poursuivre dans cette voie ? Le capitalisme est condamné à la fuite en avant :

- parce que le meilleur moyen de créer des besoins nouveaux, et donc d'éviter la saturation des marchés, c'est l'innovation technologique ;
- parce que la méthode la plus efficace pour augmenter les profits, pour bénéficier des économies d'échelle, c'est d'augmenter les volumes de production ;
- parce que la concentration capitaliste s'oppose au partage des richesses, la seule parade au mécontentement des plus démunis est la croissance économique dans la mesure où celle-ci permet de masquer l'aggravation des inégalités sociales."

Pour une décroissance conviviale

L'organisation sociale qu'appelle Jean-Pierre Tertrais de ses voeux est celle d'une société décroissante. A la fois mot-obus destiné à pulvériser l'idéologie et la foi en la croissance (et à son messager PIB) et projet collectif (voire politique), la décroissance propose une réponse aux critiques écologiques, sociales et de sens. Car dans une société ou l'on perd sa vie à la gagner, il est fondamental de redonner à l'humain sa dignité, de transformer le consommateur en usager et en citoyen. La décroissance propose de "décoloniser notre imaginaire", suivant la formule de Serge Latouche, pour pouvoir amorcer une société où le bonheur ne se résume pas à un indicateur économique.

Pour conclure

Plus qu'une querelle de clocher, les critiques des objecteurs de croissance vis-à-vis du développement durable marquent une vision radicalement différente de la société. Le développement durable, au délà de son inefficacité, permet au système de se maintenir, gaspillant un temps précieux alors que le réchauffement climatique et le pic pétrolier frappent à la porte. Alors, comment fait on entrer 4 éléphants dans une voiture ? En en mettant deux devant et deux derrière ! Cette blague illustre finalement le type de solutions que propose le développement durable face aux défis à venir.

bloqueur de pub détecté sur votre navigateur

Les articles et les contenus de Batiweb sont rédigés par des journalistes et rédacteurs spécialisés. La publicité est une source de revenus essentielle pour nous permettre de vous proposer du contenu de qualité et accessible gratuitement. Merci pour votre compréhension.