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São Paulo la moderniste

Publié le 14 mars 2008

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L'aube est encore pâle. Dans le taxi qui nous emmène de l'aéroport international de Guarulhos au centre de São Paulo, nous commentons les paysages que nous traversons. C'est mon troisième séjour dans la grande métropole brésilienne, mais le ­photographe José Manuel Ballester, que ­j'accompagne, y vient pour la première fois. ­L'objectif de ce voyage : préparer un portrait photographique de la ville.
São Paulo la moderniste - Batiweb
Ballester commence déjà à fixer des images. A la volée. Plus tard, je le verrai construire ces photographies pensées – et cadrées – au milli­mètre près dont il a le secret. Des images complémentaires de celles qu'il prend maintenant, rapides comme les croquis d'un peintre. De mon côté, je griffonne des notes. Après avoir longuement traversé les faubourgs, nous apercevons le Viaduto do Chá [viaduc du thé] et quelques-uns des gratte-ciel bordant l'autoroute qui traverse le centre-ville. Et aussi ces étroits édifices verticaux, aux styles hybrides et aux noms pompeux (Versailles n'est pas le moins ronflant), qui furent en leur temps le nec plus ultra de la ville.

Et puis, il y a ce foisonnement de ­graffitis aux airs d'écriture cunéiforme qui avaient déjà retenu mon attention lors de mes précédents voyages. Nous décidons que notre première destination, l'après-midi, sera le Copan. L'un des chefs-d'œuvre d'Oscar Niemeyer, architecte aujourd'hui centenaire. Le sommet du style organique brésilien des années 1950. C'est un immense bâtiment de trente-quatre étages qui serpente au beau milieu du chaos, en plein labyrinthe urbain. Les niveaux inférieurs, très dégradés, abritent une cafétéria grouillante de monde. L'administrateur nous accompagne jusqu'au 32e étage. Je suis pris de vertige. Par un escalier en colimaçon donnant sur le vide, Ballester monte au 34e pour y découvrir l'héli­port.

C'est une vaste surface plane, sans garde-fou, qu'on voit parfois sur des photographies spectaculaires prises sur fond de ciel d'orage, tel un tapis volant au-dessus de la “São Paulo frénétique” [Paulicéia desvairada, titre d'un recueil de poèmes publié en 1922 par Mário de Andrade]. Un surnom donné à sa ville natale par Mário de Andrade, l'un des pères du modernisme brésilien et âme de la revue d'art moderne Klaxon. Ami de Blaise ­Cendrars, il avait été le premier, en 1924, à s'enthousiasmer de voir naître la métropole ultramoderne.

Tout au long de notre séjour, nous ne cesserons de retourner régulièrement au Copan, que Ballester a mis au cœur de son essai photo­graphique sur São Paulo – qu'il appelle sa “photovision” de la ville. Chaque jour, nous saluerons de près ou de loin le ­serpent.

Le dimanche suivant, dans son ombre sinueuse, nous nous verrons pris dans une rixe spectaculaire entre travestis. Danger. Misère. L'occasion d'imaginer d'autres visions de São Paulo : celle que donnerait Andres Serrano, celle de Sebastião Salgado, celle de Bruce Weber, etc. Retour à l'architecture et à Niemeyer, avec la visite des pavillons de la Biennale internationale d'art contemporain dans le parc d'Ibarapuera.

Fantastiques, les photos dépouillées, essentielles, que prend ­Ballester de l'intérieur de l'Oca, espace d'exposition galactique, extraterrestre, d'un minimalisme compatible avec l'organique, comme le sont aujourd'hui les sculptures d'Ernesto Neto. Fantastiques, aussi, ses photos des porches. Nous prenons l'habitude de fréquenter, non loin de là, un kiosque où l'on ouvre à la machette des noix de coco vertes au lait rafraîchissant.

Nous nous intéressons aussi aux œuvres de Gregori Warchavchik. Cet Ukrainien formé en Italie fut le premier à faire ici de l'architecture fonctionnaliste. Lors de ma première visite, sa maison de style moderniste était en ruines. A Madrid, alors que nous préparions le voyage, j'en avais parlé en termes élogieux à Ballester en la décrivant comme une sorte de ruine maya du Yucatán. Elle est aujourd'hui en cours de restauration, tout comme le jardin tropical ombragé qui l'entoure, créé par son épouse Mina Klabin. La maison a perdu sa magie archéologique, mais est ­heureusement appelée à devenir un centre de documentation sur l'architecture.

Je ne connaissais pas la Cité universitaire. Moins spectaculaire que celle de Caracas, elle regorge toutefois de beaux espaces, comme la place de l'Ancien-Rectorat et sa colonne monumentale. Ce qui nous retient le plus, c'est un immeuble dont il semble impossible de décrocher Ballester, qui y monte et en ­descend en courant, appareil photo dégainé. C'est la faculté d'architecture, une œuvre ­tardive de Vilanova Artigas, près de laquelle se dressent des arbres aux fleurs d'un jaune unique qui nous émerveillent.

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