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Point de vue architecture : « Un bon gros PPP, C’est que du bonheur ! »

Publié le 30 mars 2011

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Régis Rioton, architecte, conseiller national en charge de la commande publique, s'interroge sur le bien fondé du contrat de partenariat public privé (PPP) en s'appuyant sur l'exemple du futur siège du ministère de la Défense à Balard dans le XVe arrondissement de Paris.
Point de vue architecture : « Un bon gros PPP, C’est que du bonheur ! » - Batiweb

Le ministère de la Défense va construire son petit pentagone (300 000 m2 tout de même) à Balard dans le XVième arrondissement de Paris lui permettant de regrouper civils et militaires sur un seul site. Il a opté pour un contrat de Partenariat Public Privé (PPP) sur 27 ans qui devrait être signé fin avril pour un montant total estimé entre 2,7 et 4 milliards d’euros soit une redevance annuelle comprise entre 100 et 150 millions d’euros. Les 720 millions correspondant à l'investissement initial seront, bien entendu, “avancés” par Bouygues, pilote du groupement “pressenti”.

En 2005, lors de l’installation de la mission d’appui au PPP, Thierry Breton alors ministre des finances déclarait : « ce qui devra guider le choix d’un PPP, c’est bien la volonté d’associer le plus intelligemment possible un partenaire privé à un projet public, pour obtenir à la clé un meilleur résultat, si possible à un moindre coût et dans des délais plus brefs »

Elargie par voies législative et réglementaire, embellie, la philosophie pépéiste étend chaque jour son emprise

Elle plaide sans relâche pour que le soin de financer, concevoir, construire, maintenir et gérer des ouvrages publics soit confié à des “partenaires privés” pour l’intérêt public, n’en doutons pas ! Cette stratégie de gestion de la commande publique, qui traduit plus largement une politique déterminée et volontaire, que l’ordre des architectes a dénoncée à de multiples reprises, constitue une bombe à retardement en reportant la dette sur nos enfants.

Les conséquences de ces contrats globaux sont multiples et dépassent le seul aspect financier. Un bien beau bénéfice à se partager entre quelques-uns maintenant : le contribuable paiera demain.Le coût global de ces contrats globaux représente une manne qui ferait presque pâlir d’envie les “autocrates” déchus ces dernières semaines. Force est de constater que le lobby des majors du BTP est le principal initiateur et défenseur de cette politique : ce n’est sans doute pas fortuit.

L’addition globale est plombée par les frais financiers nécessairement élevés, les marges importantes appliquées sur la construction, le fonctionnement, la maintenance et l’absence d’une réelle concurrence.

• Le coût d’un emprunt privé est nécessairement plus élevé que celui que peut contracter une collectivité ou a fortiori l’Etat.

• Le but, légitime, d’une entreprise privée est de réaliser le bénéfice le plus substantiel possible. Dans ce type de contrat, les marges s’appliquent à la construction bien sûr mais elles concernent également le fonctionnement et la maintenance. Une véritable rente qui se prolongera pendant quelques dizaines d’année. Les changements de destination où les adaptations d’une construction aux contraintes futures se sauraient toutes être anticipées : soyons sans crainte, protégée par les clauses figées du contrat, les modifications souhaitables ou nécessaires entraîneront … une hausse du prix. Titulaire d’un simple crédit-bail, le maître d’ouvrage paie au prix fort le droit d’attendre la dernière échéance.

• La constitution d’un regroupement qui associe banques, entreprise du BTP, cabinet d’avocats et entreprise d’architecture ne s’improvise pas. La formule réduit de facto la concurrence à quelques groupements que certains esprits considèrent comme fictive.

QUE NENNI, pour notre pentagone français, ils étaient trois sur les rangs, nul doute que les deux prétendants évincés sauront attendre patiemment la prochaine consultation. La liberté d’accès à la commande publique, la transparence et l’égalité de traitement, bien sûr, sous réserve que le partage soit tout de même maîtrisé.

Une Maîtrise d’Ouvrage Publique qui abandonne ses prérogatives, son savoir et ses responsabilités

Le choix du contrat de partenariat est très politique. C’est une forme de renoncement au pouvoir. Véritable richesse collective, le savoir-faire des maîtres d’ouvrage, patiemment construit, se désagrège. Répondant à des contraintes immédiates de gestion, on réduit les services et on transfère au secteur privé des prérogatives, jusqu’à présent assumées par la sphère publique.

Une maîtrise d’oeuvre qui perd son indépendance

Dans le droit commun, la maîtrise d’oeuvre, au service de son maître d’ouvrage, garant de l’intérêt public et de celui des usagers a pour mission de concevoir un projet pertinent et adapté. Elle s’assure de la bonne exécution des ouvrages, garantit toutes les conformités (techniques, financières, juridiques) et veille au maintien de la valeur d’usage.

Lorsque cette maîtrise d’oeuvre est annexée et dépendante d’un conglomérat financier, elle participe directement au résultat qu’en attend le groupement et perd de son indépendance.

Sans comparaison possible sur les conséquences, le dramatique développement de l’affaire du Médiator (et ses « possibles » conflits d’intérêts sous-jacents) nous rappelle le prix à payer lorsque cette indépendance fait défaut.

Des sous-traitants pressurés

Les artisans et PME de la construction, au rôle économique fondamental, se voient naturellement exclus d’une telle commande. Par contre, nous pouvons être certains qu’ils devront passer sous les fourches caudines qui leur seront imposées par le titulaire du groupement. Contrairement aux procédures publiques encadrées, ces marchés privés n’ont pas pour but de garantir la transparence ou de protéger le tissu économique. Une situation qui contribue à fragiliser davantage ces PME qui représentent, réunies, le premier employeur de France. La préservation de ces acteurs qui ne peuvent structurellement accéder à des marchés aussi complexes est pourtant indispensable. Ils sont les garants de la concurrence sans laquelle nous ne pourrions que constater l’augmentation sensible du coût de la construction.

Comment contourner les critères de Maastricht ?

Jusqu’à présent, dans les règles comptables concernées, le montant d’un loyer était affecté au budget fonctionnement sans aucune incidence sur la dette. L’Etat pouvait dépenser sans crainte d’alourdir son déficit qui rappelons-le constitue l’un des principaux critères de convergence que doivent respecter les pays membres de l’Union Européenne.

Malédiction ! L’arrêté du 16 décembre 2010 relatif à l’instruction budgétaire et comptable est venu modifier l’enregistrement des contrats de partenariats dans la comptabilité publique. La quote-part relative à l’investissement est dorénavant considérée comme une dette, amortie et comptabilisée comme telle. Soyons rassurés, la part la plus significative de la dépense (les ¾ au moins), reste discrètement affectée au budget “fonctionnement”.

Délai raccourci : une fausse économie

Convenons-en, par les mises en concurrence successives qui en découlent, les délais nécessaires à la passation de plusieurs contrats distincts (MOE, travaux, entretien, maintenance), s’additionnent. Bien entendu, une procédure unique est plus rapide. Mais cette économie de temps est virtuelle. La constitution du dossier de consultation et l’analyse des offres sont très complexes. Elles requièrent nécessairement la constitution de commissions et la consultation d’experts dans des domaines aussi variés que disparates ce qui augmente le délai global de façon significative.

Les 100 millions d’euros que réclame Eiffage suite aux modifications imposées par l’agence régionale d’Ile de France pour la construction du centre hospitalier sud-francilien apporte, si besoin en est, la preuve que vitesse et précipitation ne sont pas des synonymes de garantie de performance, d’optimisation et surtout d’économie.

Une politique européenne qui évolue ?

Alors que la commission européenne projette, au travers de son livre vert, la modernisation de la politique de l’UE en matière de marchés publics et définit sa stratégie autour d’une économie sociale de marché compétitive, ne devrait-on pas se réinterroger sur le bien fondé de ces contrats globaux qui réduiront toutes les marges de manoeuvre de ceux qui, élus demain, n’auront pour seul choix que de lever l’impôt pour acquitter les loyers exorbitants qu’auront contracté leurs prédécesseurs.

Régis RIOTON
Architecte, conseiller national en charge de la commande publique

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