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L’homme qui rêvait d’être chef de chantier

Publié le 17 décembre 2002

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Dans la série des grands imposteurs, le BTP compte aussi ses acteurs phénomènes. Philippe Berre, l’homme qui rêvait d’être chef de chantier, occupe parmi ceux-ci une place privilégiée.
L’homme qui rêvait d’être chef de chantier - Batiweb
Le 17 mars 2001, le petit village de Saint Marceau, au cœur de la Sarthe, est en fête. Le bourg s’apprête à fêter dignement un évènement hors du commun. Elus, notables et chefs d’entreprises se sont tous donnés rendez-vous afin de fêter avec la population l’ouverture tant attendue des travaux de l’A28. La construction de cette nouvelle percée routière entre le Mans et Tours représente en effet pour l’économie locale une bouffée d’oxygène. La maire de Saint Marceau a préparé cette journée dans les règles. Salle des fêtes réquisitionnée, vin à volonté et, comme il se doit dans la région, cochonnaille en quantité.

Pour une fois, la vedette du jour n’est pas un élu. C’est le responsable de ce vaste chantier, en l’occurrence Roger Martin. L’homme est sur les lieux depuis plusieurs semaines. Il a déjà recruté localement une vingtaine d’ouvriers qualifiés. Les loueurs d’engins TP de la région sont également aux anges. Ils ont acheminé sur le site des dizaines de bulldozers, de pelleteuses, de niveleuses et de camions à benne. Sur le terrain plusieurs milliers de m2 sont déjà dégagés afin de recevoir une série de mobil-homes flambants neufs. Roger Martin a même négocié avec les restaurateurs locaux les prix des repas de ses équipes pour la durée des travaux. En cette gaie et fraîche matinée, chacun y va de son discours à la gloire de ces grands travaux qui désenclavent les régions et libèrent les hommes. Avec le chantier, c’est une ère de prospérité qui s’annonce. La journée sera euphorique mais la suite, hélas, prendra les allures d’une sérieuse gueule de bois.

15 ans d’impostures

Quand dix jours plus tard, à six cent kilomètres de là, les gendarmes viennent arrêter Philippe Berre, alias Roger Martin, le beau chantier de Saint Marceau est désert. Depuis quelques jours les habitants savent qu'ils ont été les ultimes victimes d’un imposteur étonnant, recherché dans toute la France depuis quinze ans. L’homme s’est fait prendre en flagrant délit alors qu’il venait de louer, pour une autre inauguration fictive, une grue de 70 tonnes. Dans le village sarthois, c’est la stupéfaction. Personne ne mettait en doute un homme si occupé et si compétent. Ses victimes témoigneront : lors de ses rendez-vous d’affaires, les conversations étaient sans cesse interrompues par des appels sur son téléphone portable. Les longs dialogues très techniques que Philippe Berre tenait devant ses interlocuteurs ne répondaient en fait qu’au "service réveil" de France Télécom, dûment programmé à l’avance.

Lorsqu’il sera inculpé pour vols, filouterie et escroquerie, le faux chef de chantier n’aura qu’une seule explication : "Lorsque je vois des engins de travaux publics, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils m’appartiennent et qu’ils m’attendent". L’homme consacre en effet depuis quinze ans son énergie à ouvrir des faux chantiers de routes et d’autoroutes. Avec pour toute justification ces paroles : "Je sais que cela n’a aucun sens, mais que voulez-vous, je suis heureux quand je fais ces travaux, je deviens la personne que j’ai toujours rêvé d’être". Malgré son évidente absence de profession, Philippe Berre ne cessera de répéter, à l’instruction comme au procès : "Je suis chef de chantier !". Philippe Berre a pris cinq ans de prison. Cinq années où il aurait peut-être été plus utile à la tête d’un vrai chantier…

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