ConnexionS'abonner
Fermer

Rapport du GIEC : « Il faut que les bâtiments s’adaptent au dérèglement climatique » (ELAN)

Publié le 08 avril 2022

Partager : 

Alors qu’un nouveau volet vient d’être publié par le GIEC, Jean-Philippe Buti, directeur ELAN Île-de-France (groupe Bouygues Bâtiment France) et expert en conseil environnemental et bas carbone, revient pour Batiweb sur les leviers à actionner pour accélérer la transition écologique dans le bâtiment. Le point sur le ZAN, la RE2020, la rénovation énergétique, le Bâtiment Hybride à Économie Positive, ou encore le Zéro Émission Nette (ZEN).
Rapport du GIEC : « Il faut que les bâtiments s’adaptent au dérèglement climatique » (ELAN) - Batiweb

Pouvez-vous nous présenter ELAN Immobilier et ses missions ?

 

Jean-Philippe Buti : La filiale ELAN Immobilier été créée en 1968 par Francis Bouygues pour faire du pilotage, de l’organisation, de la planification et de la coordination sur les chantiers. Elle fait partie du groupe Bouygues Bâtiment France Europe.

On est un cabinet de conseil en immobilier responsable. On conseille essentiellement des investisseurs immobiliers, des promoteurs, et des utilisateurs de bâtiment. Mais aussi avec des acteurs publics, des aménageurs. On les accompagne sur des projets immobiliers, que ce soit de la construction neuve, de la rénovation, des opérations d’aménagement, sur tous types d’usage et de projets immobiliers : du logement et du tertiaire (bureaux, commerces, logistique…).

On a deux grands métiers chez ELAN : un métier de management de projets responsables, où l’on va accompagner ces clients sur de l’audit de bâtiments, de la maîtrise d’œuvre de conception, d’exécution, et de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, et aussi tout ce qui va être ordonnancement pilotage et coordination de chantiers.

Le deuxième métier, c’est le conseil environnemental et bas carbone, où là on va accompagner les clients avec nos consultants, qui sont des experts en biodiversité, énergie, carbone, économie circulaire, et démarches et certifications environnementales, mais également dans tout ce qui est exploitation durable des bâtiments et investissements socialement responsables.

Quels sont les principaux enseignements du rapport du GIEC qui vous ont interpellé ?

 

Jean-Philippe Buti : Ce rapport est forcément en ligne avec les différents rapports du GIEC qui sont parus ces derniers mois et dernières années. Ce qui change un peu par rapport aux publications précédentes, c’est que le GIEC a un peu plus mis l’accent sur les solutions et sur les pistes pour lutter contre ce dérèglement climatique, notamment en travaillant les pistes de résilience climatique avec les stratégies d’adaptation et d’atténuation. La priorité c’est vraiment de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le constat c’est aussi qu’on a à peu près 3 ans pour prendre des décisions et mettre en place de vraies mesures contre le changement climatique au niveau mondial. Il y a évidemment toutes les problématiques énergétiques, avec l’abandon des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. 

Il faut que l’immobilier et les bâtiments s’adaptent au dérèglement climatique. Depuis un peu plus de 3 ans, on travaille beaucoup chez ELAN sur tout ce qui est résilience face au changement climatique, donc on accompagne notamment des investisseurs sur la gestion de leur patrimoine, que ce soit leur patrimoine existant, à construire, ou leurs acquisitions, pour lutter contre le changement climatique grâce à des stratégies d’atténuation et d’adaptation.

Quelles sont vos principales préconisations à l’échelle du bâtiment ?

 

Jean-Philippe Buti : Il faut à la fois travailler sur la construction et la rénovation. Sur la construction, c’est important parce qu’aujourd’hui il y a des besoins qui sont extrêmement importants. On cite souvent les besoins en logements dans les zones tendues, donc évidemment on ne pas s’arrêter de construire des bâtiments neufs. Les bâtiments neufs en France, c’est à peu près 1 % du parc total qui est construit tous les ans. Donc évidemment la grande partie à traiter c’est la rénovation. C’est un peu le challenge d’aujourd’hui et de demain. Mais faire de la rénovation énergétique c’est bien, mais il faut aussi faire en sorte que ces rénovations soient elles-mêmes à faible empreinte carbone et qu’on s’assure que le bâtiment émette le moins de carbone possible une fois qu’il aura été rénové.

Donc va préconiser et réaliser des analyses de cycle de vie. C’est un peu ce qui est fait avec la RE2020 sur les bâtiments neufs. On va prendre en compte l’empreinte carbone des bâtiments existants et on va évaluer dans quelle mesure on pourrait les améliorer en les rénovant, à la fois pour qu’ils consomment moins d’énergie – c’est notamment un des objectifs du décret tertiaire. On va par exemple travailler sur la rénovation énergétique, préconiser les énergies renouvelables, ou des techniques de réemploi.

Que pensez-vous de la RE2020 et de son impact sur les coûts de construction dans un contexte déjà tendu de hausses de prix des matières premières ?

 

Jean-Philippe Buti : La RE2020 s’applique depuis le 1er janvier 2022 pour les logements neufs, donc c’est en train de se mettre en place et cela va se généraliser pour les autres usages. Aujourd’hui on est forcément dans une phase d’apprentissage et de calage au niveau des acteurs de l’immobilier, donc on les accompagne sur tout ce qui est calcul et optimisation de leurs projets. 

La RE2020, par rapport à la RT2012, c’est quand même une rupture plus importante parce qu’on va vraiment au-delà des considérations thermiques, avec la partie carbone, et notamment les analyses de cycle de vie (ACV) dynamiques. C’est quand même une autre façon de concevoir les projets parce qu’on va devoir faire des arbitrages sur les modes très constructifs très en amont des projets, avant le dépôt du permis de construire.

En termes d’augmentation au niveau des coûts, cela fait aussi plusieurs mois qu’on constate des variations et augmentations des coûts de construction qui sont assez importantes et qui sont liées au contexte international, aujourd’hui encore avec la guerre en Ukraine. Donc c’est assez difficile d’évaluer le seul impact de la RE2020 sur les coûts de construction justement en raison de ce contexte international.

Pensez-vous qu’il soit possible d’atteindre le ZAN d’ici 2050 ou est-ce utopique ?

 

Jean-Philippe Buti : Je pense que c’est un objectif qu’il faut se fixer. Sinon on risque de continuer à artificialiser l’équivalent d’un département français tous les ans. Or, artificialiser c’est assez simple, mais désartificialiser c’est beaucoup plus coûteux et cela prend beaucoup de temps pour revenir à l’état d’origine.

Aujourd’hui on a conscience qu’il faut limiter l’artificialisation des sols, et il y a beaucoup de réglementations locale ou nationale qui vont dans ce sens. Ne pas détruire de terres agricoles, la biodiversité, tous les effets d’îlots de chaleur qui sont induits par l’artificialisation des sols… Et en même temps il y a des zones où l’on a de forts besoins en logements, donc c’est un défi, une équation que les pouvoirs publics et les acteurs de l’immobilier vont devoir résoudre. C’est compliqué de se fixer comme objectif d’augmenter la construction de logements tous les ans, et en même temps de limiter l’artificialisation des sols.

Un des aspects à traiter, c’est de limiter globalement les surfaces artificialisées dans les projets immobiliers. Il y a certains indicateurs comme des coefficients d’artificialisation, des coefficients de biotope par surface, qui nous servent sur les opérations immobilières. 

La rénovation c’est aussi quelque chose d’important. On peut privilégier la surélévation de bâtiments quand c’est possible. Cela peut permettre d’augmenter les surfaces disponibles de logements sans artificialiser davantage.

Outre la surélévation, qu’en est-il de la reconversion des bâtiments ?

 

Jean-Philippe Buti : L’évolutivité des bâtiments, c’est quelque chose qui existe depuis un certain temps, et qui est de plus en plus prégnant. Avec la crise du Covid il y a énormément d’entreprises qui veulent réduire leurs surfaces de bureaux avec le développement du télétravail. Il y a pas mal de surfaces de bureaux qui se retrouvent vacantes dans certains endroits.

Au sein du groupe Bouygues, on a développé le concept du BHEP (Bâtiment Hybride à Économie Positive). L’un des principes du BHEP c’est d’optimiser ces surfaces et l’utilisation du bâtiment. Aujourd’hui on a énormément de surfaces sous-utilisées dans les actifs immobiliers, que ce soit des bureaux ou des parkings notamment. Il y a des espaces de parking qui vont être sous-exploités à 80 %. Au niveau financier cela a un coût. Donc on s’est dit : « Est-ce qu’on ne pourrait pas, avec la même surface construite, répondre à beaucoup plus d’usages différents ? ». C’est un concept qu’on teste sur certaines opérations. L’idée c’est de pouvoir générer des revenus avec des services qui seraient proposés par le bâtiment de manière un peu différente de ce qu’on a l’habitude de faire.

En dehors du ZAN, vous parlez de ZEN pour « Zéro Émission Nette ». En quoi cela consiste exactement ?

 

Jean-Philippe Buti : Un grand nombre de pays ont ratifié les Accords de Paris, qui imposent notamment de limiter l’augmentation de la température mondiale à 2 degrés par rapport à l’ère pré-industrielle. C’est un engagement de la France, et pour ce faire, il faut limiter les émissions de gaz à effet de serre, et restaurer des puits de carbone pour avoir un bilan neutre.

Le Zéro Émission Nette (ZEN), c’est, à l’échelle d’une activité ou d’un patrimoine immobilier, mesurer son empreinte carbone, et dans un second temps définir une stratégie pour essayer de réduire au maximum ses émissions de GES. Malgré tous les efforts déployés, on va arriver à un talon incompressible. Donc une fois qu’on aura réduit au maximum ces émissions, l’idée cela va être de restaurer des puits de carbone, comme des forêts, des prairies, des mangroves, pour avoir à un bilan qui sera globalement de Zéro Émission Nette.

On entend beaucoup parler de neutralité carbone, nous c’est un terme qu’on essaie de ne pas utiliser car c’est un terme galvaudé, qui fait ces derniers mois l’objet de beaucoup de communications qualifiées de « greenwashing ». Il y a des entreprises qui achètent des crédits-carbone sans forcément réduire leur impact carbone.

 

Propos recueillis par Claire Lemonnier
Photo de une : Jean-Philippe Buti

Sur le même sujet

bloqueur de pub détecté sur votre navigateur

Les articles et les contenus de Batiweb sont rédigés par des journalistes et rédacteurs spécialisés. La publicité est une source de revenus essentielle pour nous permettre de vous proposer du contenu de qualité et accessible gratuitement. Merci pour votre compréhension.