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Le procès de Lafarge pour financement du terrorisme s'ouvre à Paris

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Publié le 04 novembre 2025, mis à jour le 04 novembre 2025 à 17h53, par Nils Buchsbaum


Le procès de Lafarge s’ouvre le 4 novembre à Paris. L'entreprise française est jugée pour avoir versé plusieurs millions d’euros à des groupes djihadistes, dont l’État islamique et le Front Al-Nosra, afin de maintenir son activité, dans le nord de la Syrie, entre 2012 et 2014.
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Le 4 novembre, à Paris, s'ouvre le procès des agissements de Lafarge en Syrie, près de huit ans après le début de l'enquête. Le cimentier est jugé pour avoir financé, entre 2012 et 2014, des groupes djihadistes afin de maintenir en activité son usine de Jalabiya, dans le nord du pays, en pleine guerre civile.

 

Aux côtés de la société Lafarge SA, devenue en 2015 une filiale du groupe LafargeHolcim après son absorption par le cimentier suisse, huit anciens cadres du groupe dont l'ex-PDG Bruno Lafont, sont sur le banc des prévenus.  Fait notable : Lafarge a déjà plaidé coupable pour les mêmes faits devant la justice américaine en 2022.

Selon les mots employés dans le rapport de synthèse des juges d’instruction, aussi appelé ordonnance de renvoi, rendu en octobre 2024, l’ensemble des prévenus ont, « dans une logique de recherche de profits pour l’entité économique qu’ils servaient, ou pour certains de profit personnel direct, organisé, validé, facilité ou mis en œuvre une politique supposant de faire parvenir un financement aux organisations terroristes implantées autour de la cimenterie » de Jalabiya, située à 87 kilomètres de Rakka. Parmi ces groupes terroristes figuraient le Jabhat Al-Nosra, filiale syrienne d’Al-Qaida, et l’organisation État islamique (EI).

 

Lafarge a voulu maintenir ses profits à tout prix

 

L’engrenage impliquant Lafarge, révélé en France par une enquête du Monde en 2016, s'amorce en 2008. Afin de renforcer son implantation dans la région, le cimentier achète la société égyptienne Orascom, qui compte parmi ses actifs une usine en cours de construction à Jalabiya, près de la frontière turco-syrienne.

Deux ans plus tard, la cimenterie LCS sort de terre. Coût de l'investissement : 680 millions de dollars (590 millions d’euros), tandis que l’amortissement est prévu sur vingt ans. Mais la guerre civile syrienne qui éclate en 2011 bouleverse les plans du cimentier. Alors qu des multinationales françaises comme Total, Schneider, Air Liquide ou Bel quittent le pays, Lafarge préfère maintenir son activité dans une zone bientôt contrôlée par des groupes djihadistes.

Pour continuer à produire, Lafarge aurait accepté de verser des sommes à différents groupes armés contrôlant les axes routiers, afin d’assurer la sécurité de ses employés et le transport des matières premières. Les juges d’instruction estiment que l’entreprise et ses dirigeants ont aussi acheté des intrants à des sociétés liées à l’EI.

Le Parquet national antiterroriste évalue ces paiements à environ 5 millions d’euros – des montants contestés, mais jugés suffisamment probants pour parler de « financement du terrorisme ».

 

Une mise en examen pour complicité de crime contre l'humanité 

 

Aux États-Unis, Lafarge a d’ailleurs déjà reconnu les faits en 2022, acceptant de payer une amende de 778 millions de dollars (675 millions d’euros) pour échapper à un procès. La société y « reconnaissait sa responsabilité dans le financement du Jabhat Al-Nosra et de l’Etat islamique, sous la qualification de conspiration en vue de procurer un soutien matériel à une organisation terroriste étrangère, pour un montant retenu de 6 millions de dollars », notent les juges d’instruction français.

La défense plaide l’« économie de racket » de la région à l'époque, estimant que l’entreprise fut « contrainte » de verser ces pots-de-vin pour protéger son personnel. Une version rejetée par les magistrats. Selon eux, Lafarge « aurait pu à tout moment mettre fin à l’exploitation de l’usine » et a, en connaissance de cause, « évalué les contreparties qu’elle pouvait en retirer ». Autrement dit, loin d’être une victime, la société a sciemment pactisé avec les groupes terroristes au nom de ses intérêts économiques.

Au terme de ce procès qui doit s’achever le 16 décembre, Lafarge encourt une amende pouvant atteindre 1,125 million d’euros, tandis que ses anciens dirigeants risquent jusqu’à dix ans de prison et 225 000 euros d’amende pour « financement du terrorisme ». Mais les amendes les plus lourdes prévues par le Code pénal concernent l’infraction douanière : jusqu’à 46 millions d’euros, si la Cour retient les montants estimés par le Parquet national antiterroriste.

Cette audience ne mettra pas fin aux démêlés judiciaires du cimentier. La personne morale Lafarge SA reste mise en examen dans un autre volet de l’affaire pour « complicité de crimes contre l’humanité », une première mondiale pour une entreprise.

Par Nils Buchsbaum

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