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France vs Allemagne : grand écart législatif autour du bâtiment durable ?

Publié le 19 janvier 2022

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Autrefois rivales diplomatiques, l’Allemagne et la France ne deviendraient-elles pas rivales climatiques ? La question se cristallise actuellement autour de la polémique de l’inclusion du nucléaire dans le label vert, envisagée par la Commission européenne. Ce qui nous amène à nous demander si la législation française autour du bâtiment durable est différente de celle de son voisin d'outre-Rhin. Décryptage avec des spécialistes de l’OFATE, de la BFW ainsi que de la FPI.
France vs Allemagne : grand écart législatif autour du bâtiment durable ? - Batiweb

Début janvier, l’inclusion du nucléaire dans le label vert européen semait la discorde entre l’Allemagne et la France, le premier contre, le deuxième pour. Drôle d’antagonisme entre les voisins européens, pourtant chacun déterminés à suivre les directives européennes en termes de développement durable, mais à leur façon.

Une question demeure nous taraude cependant : où en est la législation allemande concernant le bâtiment durable ?


L’impact carbone du bâtiment similaire dans les deux pays


À en croire les chiffres de la Bundesverband Freier Immobilien-und-Wohnungsunternehmen (BFW) - association allemande de l’immobilier et du logement -, comme ceux de l’Office franco-allemand pour la transition énergétique (OFATE), l’Allemagne et la France enregistrent la même empreinte carbone à cause du bâtiment.

Rien qu’en 2020, le secteur a provoqué 120 millions de tonnes d’émissions de CO2 chez les deux pays. « Mais rapporté aux émissions nationales globales, le poids n’est pas le même : 16 % côté allemand, et près d’un quart côté français », nuance Jules Oriol, chargé de mission à l’OFATE.

Il ajoute aussi « que les deux parcs nationaux affichent des différences. Le parc allemand est plus important en taille, (avec 29 millions d’unités de logements, le parc français est moins important que le parc allemand qui compte 41 millions d'unités de logement), et est composé, dans l’ensemble, de bâtiments moins anciens. En France, presque un tiers des bâtiments a été construit avant 1949. Côté allemand, une grande partie du parc a été construite après la Seconde Guerre mondiale ».

Et la situation pourrait se gâter en Allemagne. « Dans le secteur du bâtiment, les émissions devraient de nouveau augmenter en 2021 après un hiver long et froid. En 2020, c'était déjà le seul secteur à manquer son objectif climatique malgré le coronavirus », nous confie Andreas Beulich, directeur fédéral de la BFW. « En raison de l'augmentation de la demande de chauffage au début de l'année, on s'attend à ce que l'objectif soit à nouveau manqué d'environ 7 millions de tonnes de CO2 - ce qui signifierait des émissions de CO2 élevées inchangées par les maisons par rapport à 2020 », prédit-t-il.

Pourtant, outre-Rhin, l’amendement de la loi fédérale sur la protection du climat de 2019, fixe un objectif de réduction de 67 millions de tonnes d’émissions CO2 d'ici 2030, pour une neutralité carbone d’ici 2050.


Course à la réglementation environnementale ?


Quand on compare l’histoire de la réglementation française et celle d’outre-Rhin, on a l’impression d’assister au concours de celui qui légiférera le plus tôt autour du verdissement du bâtiment. Alors que la première règlementation thermique française est entrée en vigueur en 1975, celle allemande date de 1977. Alors que la RE2020 vient tout juste d’être appliquée en France, la loi fédérale pour l’énergie dans le bâtiment (Gebäudeenergiegesetz), l’était déjà en 2020.

Toutefois, dans les deux pays « où une importante partie du parc immobilier actuel a été construite sans exigence en matière de performance énergétique », selon Jules Oriol, la législation pour un bâtiment durable se renforce, mais l’approche est différente.

Côté germanique, la Gebäudeenergiegesetz fixe des exigences en matière de performances énergétiques pour la construction et l’existant. Toute nouvelle construction doit tendre vers le standard d’une consommation d’énergie quasi-nulle, avec un seuil revalorisé selon chaque bâti. L’accent est notamment mis sur l’isolation thermique et le tout renouvelable pour alimenter des réseaux de chaleur et de froid.

En France, la RE2020 fixe aussi ses seuils de performance énergétique, mais uniquement pour les nouveaux bâtiments. En outre, la règlementation ne s’attaque pas uniquement à l’amélioration de la performance énergétique. Elle prend également en compte le confort d’été – priorité face aux épisodes caniculaires de plus en plus fréquents – et l’analyse du cycle de vie du bâtiment pour diminuer son impact carbone lors de sa construction. Or « le concept d’analyse de cycle de vie n’existe pas dans la réglementation allemande », nous apprend Jules Oriol, de l’OFATE.


Deux modèles de soutien à la rénovation
 

Pour ce qui est de la rénovation, autre angle d’attaque pour réduire l’impact carbone du bâtiment, la mentalité allemande a ses subtilités face à celle française. Dans l’Hexagone, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LCETV) définissait déjà les critères de performance énergétique lors d’importants travaux de rénovation d’un bâtiment existant, complétée six ans plus tard par la loi Climat et Résilience

Des seuils spécifiques ont été notamment consacrés à la location d’un logement et une obligation de réduction de consommations énergétiques dans le bâti tertiaire – avec un objectif de -60 % de CO2 d’ici 2050. À l’inverse, la réglementation allemande ne comprend pas d’ambitions particulières pour le bâti tertiaire. 

Et si la politique de rénovation allemande comme française passe par le soutien financier, les modèles diffèrent. L’Allemagne octroie ses aides par un seul acteur, la banque d’investissement publique KfW, et les montants sont définis par le niveau de performance énergétique prescrit, et ce indépendamment du revenu.

En France, MaPrimeRénov’, les Certificats d’Économie d’Énergies (CEE) et coups de pouce, sont attribués selon les ressources des ménages demandeurs. Chaque dispositif était associé à un organisme, jusqu’à ce que le gouvernement les réunisse officiellement début janvier sous un seul guichet : France Rénov’.

« À ce jour, sept sociétés de ce type sont au stade de l’expérimentation (en Île-de-France, Nouvelle-Aquitaine, Hauts-de-France, Grand-Est, Bordeaux Métropole, Centre-Val de Loire et Occitanie). Les sociétés de tiers financement offrent un accompagnement global : activité de conseil, assistance au maître d’ouvrage, financement des opérations, suivi de la qualité des travaux et de la consommation énergétique sur plusieurs années », abonde Julien Oriol.

Une preuve que, qu’importent les divergences, les modèles évoluent dans chacun des deux pays. C’est le cas aussi du Gebäudeenergiegesetze allemand, qui revoit ses standards pour atteindre la neutralité carbone du parc immobilier d’ici 2045.

Et selon Andreas Beulich de la BFW, le programme – misant sur la subvention – est chargé, avec l’objectif de 65 % d’énergies renouvelables dans chaque nouveau système de chauffage installé d’ici janvier 2025, pour une consommation d’un bâtiment neuf plafonné à 40 % par rapport au bâtiment standard. En ce qui concerne le bâtiment rénové, ce plafond est fixé à 70 % par rapport au bâtiment standard d’ici janvier 2024. De plus, le gouvernement veut toujours autant appuyer l’énergie solaire, qui sera obligatoire dans les nouveaux bâtiments tertiaires. Cette obligation pour les bâtiments privés neufs reste encore à définir.

Il faut dire que Robert Habeck, nouveau ministre fédéral de l'Économie et de la Protection du Climat allemand depuis l’entrée du cabinet Scholz au pouvoir, place beaucoup d’espoir dans les énergies renouvelables. Son grand objectif : couvrir 50 % de la production de chaleur par des énergies renouvelables d’ici 2030. 

Un compromis européen à orchestrer


À travers un tel attirail législatif, l’Allemagne tend à répondre aux directives européennes, visant la neutralité carbone d’ici 2050. Mais difficile d’appliquer uniformément ces objectifs sur l’ensemble des États membres, quand on sait que l’inclusion du nucléaire dans le label vert sème la discorde entre la France, pour, et l’Allemagne, contre cette énergie.

« L'Allemagne a décidé de sortir progressivement de l'énergie nucléaire à la fin des années 1990. Cette décision a été soutenue par une large majorité d'Allemands. L'énergie nucléaire n'est pas considérée comme une source d'énergie durable. Outre les dangers de la technologie, la question du stockage des déchets nucléaires n'est pas résolue. Ainsi, le rejet du nucléaire est une réalité politique en Allemagne », nous rappelle Andreas Beulich.

« De l'autre côté, l'espace de logement est rare, le prix du terrain, les coûts des matériaux et de la construction explosent. Le logement abordable devient de plus en plus un enjeu social. Ainsi, le débat politique s'attachera à équilibrer les différents intérêts et ambitions politiques », poursuit-t-il.

Ce qui nous amène à aborder un autre sujet tendu pour les États membres et par extension pour les citoyens européens : la lutte contre l’artificialisation des sols. Le taux de phénomène varie entre 5 à 9 % en Europe, et incite les décideurs politiques à la limiter.

Seulement, « compte tenu des politiques engagées, la hausse des prix du logement est inéluctable mais nous devons tout faire pour tenter de la maîtriser », insiste Marc Pigeon, président de Build Europe, association des promoteurs immobiliers et constructeurs européens, dont la BFW est membre.

Un livret a donc été développé par Build Europe, pour proposer dix solutions afin que l’UE aille plus vers l’idée  de « réapprécier l’usage » d’un sol artificialisé « au lieu d’en limiter l’usage », résume Franck Hovorka, directeur technique et innovation de la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI), aussi membre de Build Europe. Et les biais sont nombreux, de la reconversion des friches industrielles à l’architecture réversible.

Franck Hovorka détaille : « Un grand nombre de brevets en Europe, en Allemagne comme en France, font de la revitalisation urbaine. Quand on travaille par exemple sur des friches industrielles, pour lesquelles on désimperméabilise à 60 % et crée des espaces verts et de la biodiversité, on joue notre rôle de remise en fonctionnement de la biodiversité, des espaces verts et de l’activité humaine ».


Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock
 

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