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Alcool, tabac, cannabis : comment lutter contre les conduites addictives dans le BTP ?

Publié le 28 novembre 2023

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La consommation d’alcool, de tabac ou de drogue constitue un risque majeur d’accident au travail, et les entreprises du BTP sont particulièrement concernées. Même à faible dose, ces substances psychoactives comportent de nombreux risques pour la santé, surtout quand elles sont consommées dès l'âge de l'apprentissage (16-18 ans). Afin d'éviter ces conduites addictives, les experts sont unanimes : l'effort ne doit pas être mis sur l'interdiction du produit, mais sur la réflexion autour de l'environnement de travail et sur les conséquences de la consommation. Entretiens.
Alcool, tabac, cannabis : comment lutter contre les conduites addictives dans le BTP ? - Batiweb

Selon le Ministère de la Santé, « l’addiction se caractérise par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives ».

Les addictions les plus fréquentes sont celles relatives aux substances psychoactives (SPA) réglementées (tabac, alcool…), détournées de leur usage (médicaments), ou illicites (cannabis, cocaïne, ecstasy…). Toutes provoquent un effet instantané sur les perceptions et le comportement d’un individu, à un degré variable, et à un risque de dépendance plus ou moins extrême.

 

Des conduites « dopantes »

 

Les causes peuvent être multiples, mais au travail, « elles peuvent agir comme des moyens pour faciliter, voire améliorer l’exécution des tâches professionnelles mais également pour calmer la fatigue et réduire le stress », introduit Gladys Lutz, chercheuse et docteure en psychologie du travail. Selon la Fondation du BTP, 13 % des salariés admettent rouler un joint de temps en temps, tout comme près du tiers des intérimaires du bâtiment (31 %).

Au-delà de ces fonctions dopantes, « il y a deux phénomènes qui émergent : la dégradation de la santé mentale en particulier chez les jeunes, puis le manque de main d’oeuvre qualifiée », souligne Jean-Frederick Delbart, médecin du travail. « Aujourd’hui, une entreprise du BTP qui a l’habitude de travailler avec un bon couvreur sait qu’elle n’en retrouvera peut-être pas un autre de si tôt, alors il y a une certaine tolérance », explique-t-il.

Les substances psychoactives contribuent aussi à une certaine intégration sociale, selon Gladys Lutz. « Elles entretiennent une convivialité, elles permettent de décompresser entre potes. Une idée associée à la pause et à la détente qui renvoie à l’idée de bonne relations, mais surtout de bon travail ».

Le secteur du BTP, où la pénibilité du travail est importante (tâches répétitives, environnement rigoureux…), est ainsi un secteur particulièrement à risques. « 20 % des accidents du travail étaient dus à l'alcool il y a encore 10 ans », rappelle le docteur Delbart. Plus qu’une préoccupation, ces « conduites dopantes » sont aujourd’hui un enjeu de sécurité et de santé important auquel le secteur doit faire face et qui nécessite la mise en place d’actions de prévention spécifiques.

 

Comprendre la fonction du produit 

 

Gladys Lutz, auteure de plusieurs publications sur le sujet des addictions et du travail, alerte sur les effets pervers d’une prévention des usages de substances psychoactives, qui ne serait basée que sur l’interdiction de consommer. « La prévention ne se réduit pas à rappeler la règle ou à mieux informer les salariés », rappelle-t-elle.

« Aujourd’hui, si les consommations de SPA résistent aux messages sanitaires et aux règles, c’est à la fois le fait des consommateurs et celui des perspectives mobilisées pour construire la prévention. Le défi d’aujourd’hui est de quitter le discours univoque sur les pouvoirs toxiques des produits et d’ouvrir le dialogue sur leurs effets du point de vue des opérateurs, des encadrants et du travail réel », écrit-elle dans un article intitulé « Fonctions professionnelles des consommation de substances psychoactives ».

Pour cela, « il faut prendre le temps de comprendre la fonction du produit, même si c'est au bout du compte des consommations qui posent problème », insiste Mme Lutz, qui préconise aux entreprises de travailler avec des équipes pluridisciplinaires (médecins, ergonomes, psychologues…). « Tous les managers ne sont pas nécessairement formés à la question des addictions, ou s’ils le sont, ils le sont généralement dans une approche assez individualisante », poursuit-elle.

 

Quelles actions mettre en place ?

 

Pour Jean-Frederick Delbart, l’important est d’abord de « déceler ce qui est en la cause, si c'est la personne ou les conditions de travail ». Selon lui, « l’action devrait être plus préventif sur le consommateur », comme des programmes de dépistage de drogue ou d'alcool sur les chantiers.

Pourtant, le Code du Travail autorise déjà la pratique des tests de dépistage pour déterminer l’aptitude d’un salarié à occuper son poste de travail, mais ils sont pratiqués sur prescription du médecin du travail, et doivent être prévus par le règlement intérieur de l’entreprise.

Mais ce dépistage sur site est désormais « nécessaire », selon médecin du travail qui explique : « en tant que médecin, quand j’interroge certains salariés sur leurs consommation de tabac, d’alcool ou de cannabis, ils sont complètement décomplexés pour dire que oui, ils fument souvent un joint le soir pour combattre l'anxiété ou pour dormir. C’est comme un anxiolytique ».

Toutefois, ce dernier rappelle qu’au-delà de l’impact sur la productivité, consommer du cannabis augmente le risque de perdre son emploi. « Une consommation unique de cannabis peut être détectée dans le sang jusqu’à 2 jours après. Donc si vous avez un accident de voiture et qu'on vous contrôle positif, vous êtes en tort à 100 %, et vous avez le permis de retiré pour 6 mois ».

Ainsi, pour éviter ce genre de situation, Gladys Lutz recommande de « mettre en place des espaces où l’on peut en parler librement et pas uniquement sous l’angle de ce qui est permis et pas permis. L’idée est de pousser le consommateur à se questionner davantage sur les risques qu’il encoure », souligne-t-elle. « Il faut également former les encadrants, les chefs de chantiers et/ou les conducteurs de travaux sur cette capacité à analyser les situation et à anticiper les problèmes liées aux consommations. Comment prendre le temps de ne pas sur-réargir ou sous-réagir, de travailler sur l’environnement de travail, sur le réel, autoriser à dire les choses telles qu’elles sont et les mettre en discussion », soutient la docteur en psychologie du travail.

 

Apprentis du BTP : mieux vaut prévenir que guérir

 

Mieux vaut prévenir que guérir, c’est toute l’ambition du travail de Jonathan Mayette, ingénieur formation santé et prévention au CCCA-BTP (Comité de concertation et de coordination de l'apprentissage du bâtiment et des travaux publics). Son objectif : « Armer et accompagner les formateurs sur cette idée de prévention ».

« Par manque d’expérience et étant plus vulnérables, les jeunes sont plus sensibles à l’addiction », indique le docteur Delbart. « Mais quand on pense addiction, on pense toute de suite alcool ou cannabis », constate l’ingénieur du CCCA-BTP, « pourtant chez les jeunes, l’addiction au jeu prend une ampleur démesurée, sans parler de l'addiction au téléphone portable qui est catastrophique ».

En effet, selon les derniers chiffres du CCCA-BTP, plus de 50 % des jeunes (16-18 ans) passent plus de 5 heures par jour sur leur téléphone portable. « Cela aura un impact important sur leur travail à l’avenir. On le voit déjà sur les centres de formation, les formateurs doivent se bagarrer sur la gestion du téléphone : est-ce qu’il faut l’interdire ou non ? Est-ce qu’il faut l’autoriser juste en tant qu’outil pédagogique ? C’est compliqué », déplore-t-il.

Côté substances psychoactives, les jeunes consommeraient moins de tabac qu’auparavant, selon une enquête de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT). Plus de 46 % déclaraient avoir déjà fumé au moins une cigarette dans leur vie en 2022, contre 49 % en 2017.

Toutefois, parmi les apprentis (16-18 ans à l’entrée en apprentissage, NDLR) du BTP, l’histoire est un peu différente. « Si vous voulez un ordre d’idée, plus de 60 % des apprentis du BTP sont fumeurs, contre 38-40 % des lycéens », commente Jonathan Mayette. « Sur ces sujets-là, le ministère de la Santé commence à prendre les choses en main et à considérer qu’un apprenti n’est pas un lycéen, qu’ils n’ont pas du tout le même rythme de travail ».

Dans cette lancée, le CCCA-BTP a mis en place un dispositif national intitulé « Bien dans ta peau, bien dans ton poste » (BTP BTP), destiné aux CFA, formateurs et apprentis. Il a pour objectif de les sensibiliser à l’importance de la santé et du bien-être personnel et professionnel en plaçant au coeur de l’action, l’activité physique. « En pratiquant une activité sportive, le jeune devrait être moins tenté d'aller fumer un joint ou d'aller consommer de l'alcool. C’est tout un environnement sur lequel il faut travailler », indique Jonathan Mayette.

« L’important n'est pas de convaincre, mais de donner à réfléchir. Si à un moment, le jeune engage un micro-processus de changement, c’est là que l'on commence à gagner, car après il y a toutes les valeurs du travail qui deviennent importantes. Au-delà de former le futur professionnel, on forme également des jeunes qui vivent en dehors de leur travail », poursuit l’ingénieur, « donc lutter contre les addictions, ce n'est pas une obligation, c'est juste un incontournable ».

 

> Consulter le dossier spécial Prévention dans le BTP

 

Propos recueillis par Marie Gérald

Photo de une : Adobe Stock

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