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Quelles alternatives au désamiantage ?

Publié le 07 janvier 2022

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25 ans après l’interdiction de l’amiante, des victimes continuent leur bataille judiciaire. Mais quelles sont les techniques de traitement de l'amiante les plus efficaces ? Que valent le recouvrement ou l’encapsulage ? Moins onéreux dans le cadre de travaux de réhabilitation de bâtiments, ces procédés ont toutefois leurs limites aux yeux d’Acceo, Ex’Im, l'OPPBTP ou bien AC Environnement. Éclaircissements avec ces organisations spécialistes de la question.
Quelles alternatives au désamiantage ? - Batiweb

Mi-décembre, une audience devant la cour d’appel de Paris se tenait, afin de contester le non-lieu rendu par les juges d’instruction sur le dossier de l’entreprise Eternit. Dossier qui compile un quart de siècles de plaintes à l’encontre du premier producteur français d’amiante-ciment, jusqu’à ce que ce matériau soit interdit en 1997. 

Il n’empêche que l’amiante demeure à l’origine de nombreuses maladies respiratoires, touchant de nombreux professionnels. D’autant que sa présence « reste un fort enjeu de santé publique avec encore 20 millions de tonnes en place dans le bâtiment. Et chaque année qui passe, ces matériaux, ces produits, présents depuis 25 ans au bas mot, se détériorent », déplore Yannick Ainouche, président d’Ex’Im, réseau d’entrepreneurs de diagnostics immobiliers.

25 ans après l’interdiction de l’amiante, les autorités sanitaires n’ont pas chômé afin de prévenir les risques de contamination lors de travaux, sur des bâtiments construits avant 1997. L’arrêté du 16 juillet 2019 rend notamment obligatoire un repérage amiante avant travaux (RAAT) et recommande entre autres le désamiantage de ces structures anciennes. Une opération certes efficace, mais bien trop onéreuse pour les donneurs d’ordre, maîtres d’ouvrage et propriétaires d’immeubles bâtis, concernés par l'obligation.

Le recouvrement, solution moins chère, mais moins pérenne que le désamiantage


Des alternatives existent toutefois, privilégiées pour les sols et toitures lors de réhabilitations légères. Beaucoup d’industriels, comme Beauflor, proposent des solutions afin de recouvrir les sols amiantés, par exemple.

« Ce procédé, permet au maître d’ouvrage d’économiser sur les coûts, souvent très élevés, de désamiantage. D’autant que les modalités d’intervention permettent souvent d’effectuer les travaux en présence des utilisateurs des locaux (à l’inverse du désamiantage qui impose la « non-présence » d’utilisateur lors des travaux) », soutient Brice Bessieres, responsable offre chez Digiliance, filiale du groupe AC Environnement. 

Sauf que le recouvrement est moins efficace que l’encapsulage. Au regard du logigramme de la Direction Générale du Travail (DGT), cette dernière technique est certes vue comme un recouvrement, mais un recouvrement étanche, solide et durable. Sans ces trois critères, la technique n’assurerait pas la conservation de matériaux contenant de l’amiante (MCA). Les équipements concernés font partie de liste A du code de santé publique, c’est-à-dire les flocages, calorifugeages et faux-plafonds.

Heureusement d’après Yannick Ainouche : « L’amiante lorsqu’il reste en bon état ne présente pas de risque immédiat tant qu’on n’y touche pas, tant qu’on n’intervient pas dessus. Dans les bâtiments, la réglementation demande toutefois de surveiller cet amiante avec des évaluations de l’état de conservation menées par des opérateurs certifiées voire des mesures d’empoussièrement (tous les trois ans) ».

« Tout dépend du classement », objecte cependant Richard Thomas. L’ancien président de la Commission Nationale Amiante de Qualibat et AMO/MOe Amiante fait référence aux tableaux A, B et C du gouvernement, catégorisant les MCA. Pour rappel, derniers sont classés selon leur niveau d’empoussièrement (1, 2 et 3) de leur support, ou des modalités de retrait, déterminés par des rapports de laboratoire. « En fonction de ces résultats soit on a un contrôle visuel, soit on a un contrôle par mesure d’empoussièrement… », développe-t-il. 

L’expert rappelle également que l’encapsulage et le désamiantage sont des techniques homologuées de sous-section 3 (SS3) relative au retrait de l’amiante, donc soumises à des contrôles selon le Code du Travail. Le recouvrement est une solution temporaire reléguée aux interventions de sous-section 4 (SS4), qui dictent les modes opératoires afin de protéger les ouvriers. La responsabilité de former les ouvriers et contrôler les procédures dépend donc de la bonne volonté de l’entreprise. 

« Pour les solutions de recouvrement, elles doivent être mises en œuvre selon le logigramme de la DGT par des entreprises formées aux interventions SS4 et présentant des modes opératoires validés par des chantiers tests, pour connaître le niveau d’émission de fibres selon les techniques utilisées. Il est certain que pour des MCA en bon état, cette option peut être préconisée pour sa rapidité de mise en œuvre (pas de délai de plan de retrait) et son coût généralement moins élevé », expose Maelig Frémont-Notteau, directeur métier amiante du bureau d’études Acceo.

Il nuance cependant : « Mais le recouvrement comme l’encapsulage occultent visuellement la présence de MCA avec une mise en sécurité inférieure, de ce fait, cela nécessite un suivi documentaire extrêmement strict dans le DTA. Ceci afin de prévenir tout risque d’intervention ultérieure sur ces zones tout en ignorant la présence de MCA, puisqu’ils seront cachés par le recouvrement ! ».

Même avis du côté de Brice Bessières : « La problématique amiante reste entière pour un maître d’ouvrage qui doit continuer à suivre l’état de dégradation de son matériau et prendre en compte ce même risque amiante lors de ses prochaines interventions. La problématique amiante est donc simplement repoussée mais non traitée ».


Innover pour mieux éliminer les parties amiantées ?

 

Dans ce cas alors, quelle technique choisir ? Pour Maelig Frémont-Notteau, « il faut faire une analyse du contexte du bâtiment en fonction du niveau de risque de pollution par des fibres d’amiante, la nature des travaux éventuels courts ou moyens termes, du niveau d’occupation du bâtiment et de ses caractéristiques : locaux tertiaires, habitations ou parties communes, industriels. Si l’on ajoute dans l’équation du choix de la solution optimale, l’impact environnemental d’un chantier de retrait d’amiante (désamiantage): EPI, déchets dangereux, polyane etc…, le choix devient cornélien », énumère-t-il en insistant qu’ « il est donc nécessaire de se faire accompagner par un AMO/MOE travaux “risque amiante” pour aider au choix de la meilleure solution en fonction du contexte présent et futur ».

Intervention d'un expert amiante certifié - Crédit photo : Acceo
Intervention d'un expert amiante certifié - Crédit photo : Acceo

Une autre question se pose : un meilleur traitement de l’amiante doit-il passer par l’innovation ? « En effet certaines innovations ont vu le jour ces derniers temps. Celles-ci permettent d’entrevoir de nouvelles techniques d’intervention, de nouveaux matériaux pour le recouvrement ou l’encapsulage des matériaux. Enfin, de nouveaux procédés d’intervention de désamiantage ont également vu le jour (robots téléguidés/automatisés), qui interviennent sans présence de l’homme en zone de travail », répond Brice Bessieres. « Les coûts peuvent donc être réduits mais ces nouvelles techniques limitent surtout l’exposition des travailleurs », constate ce dernier.

Richard Thomas, cependant, se montre un peu plus sceptique : « Il y a deux appareils qui ont été testés, dont on connait le fonctionnement, dont on connait les limites », témoigne-t-il en évoquant l’exemple d’un robot qui ponçait les murs. « Le problème c’est quen quand on arrive pour faire les coins et bien on ne peut pas les faire, quand on fait les pieds de murs, on ne peut pas les faire… Donc, on est obligés de les finir à la main ».

Pour Yannick Ainouche, l’« innovation peut sans doute contribuer à une meilleure sensibilisation, on voit notamment que les solutions digitales aident les gestionnaires de parc dans la maîtrise du risque amiante ». C’est le crédo du bureau d’études géologiques GDA et de son outil GDA0. L’application permet à la fois un repérage A0 – premier niveau de repérage - avant-travaux de l’amiante, tout en informant les entreprises intervenant sur les chantiers comportant des sols et roches en place. Un outil pratique, bien qu’il existe « deux zones » concernées en France, c’est-à-dire « à côté de Lyon et en Bretagne », précise Richard Thomas.

Une ressource bénéfique aux acteurs de telles opérations, qui devront répondre – normalement dès 2023 - à la norme Afnor NF P94-001 -, publiée fin novembre dernier. Celle-ci définit l’état de l’art dans l’étude géologique, obligatoire et préalable au traitement de l’amiante.

Démonstration de l'outil Pandora Amiante, crée par Acceo - Crédit photo : Acceo
Démonstration de l'outil Pandora Amiante, crée par Acceo - Crédit photo : Acceo

« La digitalisation des supports documentaires (cartographie, DTA, RAAT) et de l’information est une clé essentielle de la maîtrise des risques liés à l’amiante. La parfaite maîtrise de la localisation des MCA et de l’historique des interventions est primordiale quel que soit la solution choisie », affirme le directeur Métier Amiante d’Acceo. Il faut dire que le bureau d’études a développé son propre outil - en complément de l’expertise du maître d’ouvrage. Appelé Pandora Amiante, le dispositif permet d’avoir une vision globale sur son patrimoine immobilier, vis-à-vis de la problématique amiante et synthétiser les actions correctives à mener. 

Maîtrise de l’amiante : qui responsabiliser ?

 

« Il est important de rappeler la responsabilité des donneurs d’ordres et des chefs d’entreprises en matière de prévention des risques d’exposition à l’amiante. La responsabilité de ces deux acteurs peut être rapidement engagée. La DREETS a annoncé fin 2021 des campagnes de contrôles sur les chantiers du bâtiment pour s’assurer du respect des réglementations en vigueur » pense Maelig Frémont-Notteau. « Mais contrôle ou pas, il est essentiel que tous les acteurs prennent les choses au sérieux, comme un vrai risque et non comme une obligation administrative documentaire supplémentaire » ajoute-t-il.

Selon Yannick Ainouche, si ces dispositions sont bien mises en œuvre par les professionnels du désamiantage et de la maîtrise d’ouvrage publique comme privée, elles gagneraient à être mieux prises en compte globalement dans le bâtiment. « De nombreux artisans ne disposent pas encore de la formation au risque amiante SS4, et de nombreux chantiers (notamment chez le particulier) sont réalisés sans aucun diagnostic préalable », alerte-t-il.

Ce n'est pourtant pas faute d’avoir vu des supports pédagogiques dédiés aux interventions de SS4 se développer ces dernières années. On pense notamment à ceux déployés par l’OPPBTP, qui tend à inculquer aux ouvriers du bâtiment les bons gestes lors de l’application de solutions de recouvrement sur matériaux ou produits, potentiellement émetteurs de fibres d’amiante. 

En résulte par exemple la CARTO Amiante, qui dresse une cartographie des niveaux d’empoussièrement et des modes opératoires à appliquer par métier du BTP. Mise à jour en avril dernier, le document a été simplifié sur le site www.reglesdelartamiante.fr.

« Des serious game viennent compléter cette offre et renforcer l’appropriation des gestes métiers par les opérateurs. Ces outils répondent aux meilleurs intérêts des salariés, des entreprises et des donneurs d’ordre, en conjuguant préservation de la santé des salariés, performance des chantiers et protection de l’environnement », complète Isabelle Monnerais, responsable du domaine risque chimique à l’OPPBTP, qui retient de bons retours vis-à-vis de cette campagne de sensibilisation.

Une meilleure sensibilisation de l’artisan porte certes ses fruits, mais devrait être prolongée par une prise du conscience chez le particulier. Or « cela reste surtout une question de financements car l’amiante coûte cher. Aujourd’hui, en dehors de quelques aides distribuées par l’Anah, rien n’existe. L’amiante, comme les autres polluants du bâtiment tels que le plomb, pourrait bénéficier de subventions au même titre que les travaux de rénovation énergétique », suggère Yannick Ainouche.
 

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock
 

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