Un tour du monde à la Biennale d’architecture de Venise

Sous le commissariat général de Carlo Ratti, la 19ème Biennale d’architecture de Venise a débuté le samedi 10 mai 2025 et durera jusqu’au 23 novembre 2025. S'inscrivant dans une démarche curatoriale plus large, le programme vise tout public. « Intelligens. Natural. Artificial. Collective » aborde, selon Carlo Ratti, toute forme d’intelligence, qu’elle soit naturelle, artificielle ou collective, ou celle qui s'inspire des disciplines scientifiques et progresse par essais et erreurs, pour accélérer la transformation du présent, à la recherche de futurs meilleurs.
Une série de conférences, d'ateliers et d'autres rencontres, invite à explorer les thèmes de l'exposition de manière ludique, en mettant l'accent sur les relations entre les personnes, les idées et les solutions, et en créant des espaces propices à la création de connaissances et au partage d'informations transdisciplinaires. « L’architecture doit devenir flexible et dynamique, tout comme le monde pour lequel elle est conçue », selon Carlo Ratti.
Et si nous allions découvrir les diverses idées des participations nationales réparties entre les Giardini et l'Arsenale, en plus de 15 installations qui viennent agrémenter certains espaces d'exposition institutionnels dispersées dans la ville ?
Chaque pavillon raconte son histoire et expose ses préférences. Mis à part le Pavillon français « Vivre avec / Living with », imaginé par les architectes Dominique Jakob et Brendan MacFarlane, en association avec Martin Duplantier et Éric Daniel-Lacombe - qui interroge les capacités de l’architecture à faire face aux défis climatiques mais aussi aux conflits et à l’instabilité du monde - quelques idées incontournables qui ont retenues notre attention.
Le pavillon de la Belgique
©Luca Capuano
D’Europe en Amérique
Plus de 200 plantes sont exposées au pavillon belge cette année. L’ensemble, conçu par l'architecte paysagiste Bas Smets et le neurobiologiste Stefano Mancuso, explore le potentiel des plantes en architecture et s’attarde sur leur rôle, qui va au-delà de leur utilisation comme toile de fond. Tandis que le pavillon portugais présente une allégorie immersive du Paradis, le pavillon suisse vise à mettre en lumière Lisbeth Sachs, l'une des premières femmes à obtenir le titre d'architecte en Suisse, en explorant à quoi pourrait ressembler le bâtiment si elle l'avait conçu. Créé à l'origine par Bruno Giacometti, contemporain de Sachs, le pavillon a été réimaginé avec des rideaux blancs et des murs en bois gris imitant le béton. La commissaire d'exposition Amanda Pinatih et le designer Gabriel Fontana ont transformé le pavillon néerlandais en bar sportif. L'ambition étant d’encourager l'opposition et la division, en proposant un espace ludique où chacun est le bienvenu.
Alors que le pavillon des Pays nordiques explore l'architecture moderniste à travers l'expérience transgenre, le pavillon britannique s’intéresse aux thèmes liés au colonialisme, à l'environnement bâti et à l'extraction géologique. L'extérieur du pavillon a été recouvert d'un voile de perles, dont les plus grands sont composés de sphères de briquettes de déchets agricoles et d'argile, maintenues en place par des perles de plus petite taille de verre rouge.
Le pavillon danois prend la forme d'un chantier de construction, grâce à une décision délibérée du commissaire d'exposition Søren Philmann, qui a profité de la Biennale pour apporter des améliorations indispensables à la structure des années 1950. Un geste qui démontre l'importance et le potentiel de la rénovation et de la réutilisation en architecture.
L’installation vidéo et sonore exposée au pavillon finlandais, conçue à l'origine par l'architecte Alvar Aalto pour l'édition 1956 de l'événement, retrace l'histoire de la structure et des restaurations majeures depuis sa construction, tandis que le pavillon allemand transforme le changement climatique en une « expérience physique et psychologique ». En effet, plusieurs espaces contrastés de stress et de relaxation ont été créés pour rendre tangible la réalité du changement climatique urbain. Une intéressante collection de maquettes et d'installations orne le pavillon espagnol. Le pavillon ukrainien, quant à lui, arbore un parallèle entre architecture vernaculaire et architecture d'urgence.
Le pavillon de la Serbie
©Luca Capuano
Des bandes de laine, tissées à la main et par des robots, pendent des plafonds du pavillon serbe et se détricotent lentement grâce à une série de moteurs alimentés par des panneaux solaires. D'ici la fin de la Biennale, l'installation aura été entièrement démontée, la laine étant retransformée en 125 pelotes de laine. L'œuvre explore l'idée de circularité en architecture, ainsi que les relations et les limites de l'intelligence naturelle et artificielle. Les architectes estoniens Keiti Lige, Elina Liiva et Helena Männa ont habillé l'extérieur d'un ancien bâtiment du front de mer vénitien de panneaux isolants d'un blanc éclatant. Ces panneaux, revêtus de fibrociment, sont des répliques de ceux actuellement utilisés pour isoler certains quartiers résidentiels estoniens. Cette juxtaposition de matériaux peut, selon les instigateurs, encourager le débat sur la manière d'atteindre les objectifs énergétiques européens.
Le pavillon de l’Urugway
©Luca Capuano
S'appuyant sur les recherches de l'architecte Andrea Shin Ling de l'ETH Zurich, le pavillon du Canada présente des structures extraterrestres recouvertes de cyanobactéries vivantes, qui séquestrent le carbone de l'air. L'installation a été créée par le groupe d'architectes Living Room Collective pour présenter les possibilités de biofabrication des bâtiments du futur. Cette année, le pavillon américain de la Biennale d'architecture de Venise explore les porches comme archétype de l'architecture américaine, avec un auvent en bois massif en zigzag formant un abri à l'extérieur de son bâtiment néoclassique. Intitulée « Porche : une architecture de générosité », l'installation et l'exposition de l'auvent en bois, installées à l'intérieur du pavillon existant, ont été organisées par Susan Chin, Peter MacKeith et Rod Bigelow.
Le Pavillon de l'Uruguay met en avant la gestion de l'eau, essentielle à l'avenir de l'architecture. Tandis que deux espaces d'exposition explorant les enseignements tirés des pratiques architecturales amazoniennes ont été installés au sein du pavillon du Brésil, le pavillon du Pérou raconte l'histoire d'un radeau de roseaux totora qui, en 1988, s'embarqua pour un voyage maritime vers d'autres ports d'Amérique du Sud et de Polynésie. Cette expédition sans précédent débuta sur la côte péruvienne, au sud de Lima, et dura 54 jours en mer. Ce radeau était le fruit d'un travail artisanal collectif et d'un défi structurel majeur. L'exposition vise à souligner l'importance des savoirs ancestraux et relève le défi de célébrer les matériaux essentiels du patrimoine culturel péruvien.
En passant par l’Asie, l’Afrique et l’Océanie
Le Pavillon taïwanais de la Biennale de Venise 2025 s’intéresse aux « intelligences précaires », une exposition qui explore une forme de résilience façonnée par le croisement des catastrophes naturelles, des défis géopolitiques, de la mondialisation et d'un avenir incertain. Tandis que le Pavillon du Japon interroge l'évolution de la relation entre l'action humaine et l'intelligence artificielle, celui de l'Ouzbékistan explore le four solaire de l'ère soviétique et l'héritage moderniste.
Le pavillon de l'Arménie met en lumière les défis auxquels le patrimoine culturel est confronté aujourd'hui, notamment les pertes liées au changement climatique, aux conflits et à la négligence, tout en explorant comment les technologies émergentes, comme l'intelligence artificielle, peuvent offrir de nouvelles méthodes de préservation et de réinterprétation.
Le pavillon du Bahreïn, qui a reçu cette année le Lion d'or de la meilleure participation nationale, aborde le problème mondial des chaleurs extrêmes. À travers une installation in situ, l’exposition « Heatwave » conçue par l'architecte Andrea Faraguna réinvente la conception de l'espace public en explorant des stratégies de refroidissement passif ancrées dans les réalités climatiques et le contexte culturel de Bahreïn. Le pavillon du Liban, présente « La Terre se souvient », une exploration de l'écocide et de la guérison environnementale.
Le premier pavillon d’Oman a fait son entrée à la biennale de Venise cette année. Conçu par l'architecte omanaise Majeda Alhinai, l’exposition intitulée « Traces » s'intéresse au « sablah », un espace communautaire traditionnel omanais que l'on trouve généralement dans les villages et les quartiers. Le pavillon explore la logique spatiale et sociale du Sablah, explorant son potentiel pour éclairer la conception d'environnements partagés contemporains. Située à l'intersection du patrimoine et de l'adaptabilité, l'installation réfléchit à la manière dont l'architecture peut favoriser l'hospitalité, le dialogue et la cohésion sociale entre les générations.
La République du Togo inaugure également son premier pavillon cette année, avec une exposition qui explore les récits architecturaux du pays du début du XXe siècle, en se concentrant sur les thèmes de la conservation et de la transformation.
Enfin, le pavillon australien présente un mur incurvé en pisé et un banc entourant un espace cérémoniel rempli de sable.
Gateway To Venice’s Waterways
©Marco Zorzanello
En marge de la biennale
L'architecte italien Italo Rota et la philosophe américaine Donna Haraway ont reçu cette année le Lion d'or de la Biennale d'architecture de Venise. Rota, décédé l'année dernière à l'âge de 70 ans, a reçu le Lion d'or spécial pour l'ensemble de sa carrière, tandis que Haraway a reçu le Lion d'or pour l'ensemble de sa carrière.
Revenons sur les quelques curiosités qui ont retenues notre attention. L’agence d’architecture danoise Bjarke Ingels Group (BIG) dévoile « Ancient Future : Bridging Bhutan’s Tradition and Innovation », une exposition immersive qui allie l’artisanat ancestral du bois et la précision robotique pour réinventer l'avenir de l'architecture bhoutanaise. Le projet met en scène des sculptures sur bois réalisées en direct par des artisans bhoutanais et un bras robotisé gravant simultanément des motifs identiques sur des poutres en bois lamellé-collé, dans un prototype à l'échelle 1 de la structure en diagrid (configuration triangulaire d’éléments diagonaux) de l'aéroport. C’est une rencontre symbolique entre artisanat et robotique.
La marque automobile Porsche et la Fondation Norman Foster ont créé un pont scintillant et un pôle de transport. Il s’agit d’une structure de 37 mètres de long, conçue pour explorer l'intégration des modes de transport du futur au cadre historique de Venise. Le pont est entouré d'une structure en aluminium léger, dérivée, selon l'équipe, de la technologie utilisée pour la fabrication des voitures de course Porsche. Il est recouvert d'une surface cinétique lui donnant une apparence animale. Notons également la présence de l’agence d’architecture chilienne Elemental, fondée par l'architecte Alejandro Aravena, lauréat du prix Pritzker, qui a collaboré avec l'entreprise de matériaux de construction Holcim pour présenter un prototype de logement construit en béton biochar et de granulats recyclés. L’une des révélations de cette biennale est la bibliothèque démontable de l’agence américaine Diller Scofidio + Renfro. Un pavillon de 24 mètres de long qui possède une structure légère, conçue pour être transportable, dans le but de « soutenir l'alphabétisation et l'amour de la lecture » dans différents lieux. La biennale d’architecture de Venise est différente des précédentes, on y repère moult découvertes et on la quitte pleins d’idées en tête !
Sipane Hoh
Photo de une : ©Marco Zorzanello - Soft infrastructure