Le chanvre, vertueux du champ au chantier
« Du champ jusqu’à sa transformation, et de sa transformation jusque dans le bâtiment, pour l’environnement, le chanvre est vertueux sur toute la ligne ». Le ton est donné. Pour Vincent Hannecart, il ne fait aucun doute que le chanvre est un matériau d’avenir, à l’ère de la décarbonation du bâti. Et l’homme en sait quelque chose, puisque la coopérative agricole vendéenne Cavac, via sa filiale Cavac Biomatériaux, dont il est le directeur général, produit depuis longtemps des isolants à base de chanvre.
Cette plante, qui n’est autre qu’une sous-espèce de plantes de l’espèce Cannabis sativa, est massivement cultivée en France. 23 600 hectares lui sont consacrés, ce qui fait de l’Hexagone le deuxième producteur mondial. Les agriculteurs lui font la part belle car elle a de nombreux intérêts, notamment pour le secteur du bâtiment.
« La fibre du chanvre va être exploitée pour fabriquer des isolants en laine de chanvre. La chènevotte, qui est la moelle du chanvre, sera quant à elle mélangée avec de l’eau et de la chaux pour donner du béton de chanvre », explique Philippe Lamarque, président de Construire en chanvre, une association fondée il y a 26 ans pour sécuriser et gérer la construction en chanvre, très spécifique.
La culture du chanvre, mode d’emploi
Avant de se retrouver dans les combles d’un logement ou d’en devenir l’armature, le chanvre doit être cultivé pendant trois à quatre mois. Une fois semée au printemps, « la plante pousse vite car elle est liée au cycle de la lumière. Autrement dit, dès que les jours raccourcissent, sa croissance s’arrête. Pendant la pousse, le chanvre peut grandir jusqu’à 10 centimètres par jour, pour atteindre trois à quatre mètres de haut à la fin de sa croissance », nous explique Vincent Hannecart.
En fin de cycle, aux alentours de la mi-août, le champ est coupé, et les cultures laissées à même la terre pour pouvoir subir le cycle soleil-eau, afin d’aider à la décomposition de la pectine, contenue dans la paille. Un procédé indispensable pour faciliter le défibrage en usine. Le tout est ensuite récupéré au bout d’un mois et demi, pour se retrouver dans ladite usine.
Sur place, il est enfin temps de procéder au défibrage. C’est cette étape qui va permettre de séparer les fibres du bois, qui seront respectivement à la base de l’isolant en laine de chanvre et du béton de chanvre.
Un matériau vertueux en amont…
Le chanvre a la particularité d’être une plante particulièrement bénéfique pour l’environnement. Comme le souligne le directeur général de Cavac Biomatériaux, « la plante absorbe jusqu’à 15 tonnes à l’hectare de CO². Sur un hectare de forêt, pour capter le même équivalent carbone, il faut 10 ans ».
Autre atout majeur de cette culture : sa pousse rapide. La rapidité de sa croissance lui permet de bloquer les rayons du soleil et d’empêcher, de facto, les herbes de sous-étage de pousser. Les champs n’ont ainsi pas besoin de produits phytosanitaires. Outre le fait que cela permette d’assainir le sol, l’eau des bassins versants est plus propre, car elle n’aura pas capté les molécules des phytosanitaires qui n’auront pas été répandus. C’est donc une culture qui se révèle à la fois bénéfique pour l’eau, la terre, ainsi qu'à la préparation du sol pour les semis à venir.
... et en aval
Pendant sa culture, le chanvre séquestre le carbone. Mais une fois transformé en isolant ou en béton de chanvre, qu’en est-il exactement ?
En tant que tels, le chanvre fait de l’évitement de carbone. Ses propriétés vont lui permettre d’améliorer le confort d’un logement, pour que ce dernier ait besoin de moins d’énergie pour se chauffer.
Même son de cloche concernant le confort d’été. Le chanvre a la particularité d’avoir une très bonne régulation hygrothermique. Autrement dit, il est capable de capter l’humidité ambiante pour ensuite le restituer en fonction de la sécheresse dans l’air. Cela signifie qu’en tant qu'isolant ou sous la forme de béton, il apporte une régularité dans l’hygrothermie, et donc du confort d’été.
Des attributs tout aussi efficaces pour ce qui est de faire monter le mercure dans un logement, comme l’explique Philippe Lamarque : « Le béton de chanvre va capter quatre fois son poids en eau. Donc la vapeur d’eau, si on laisse perspirer la paroi, va se transformer en eau stockée par cette dernière. Il y a donc un changement d’état de l’eau, un phénomène thermodynamique. Celui-ci dégage de la chaleur, et ce dégagement de chaleur est calculé précisément par le Cerema. Il est de l’ordre de 2°C. En France, on préconise une température intérieure de 19°C. Il suffit donc de chauffer un logement à 17°C pour que les 2°C liés au dégagement de chaleur fassent monter le mercure à 19°C. Ces 2°C correspondent à 70 % d’économies de chauffage ».
Des qualités qui laissent à penser qu’au regard de toute la ligne, « on a vraiment intérêt à favoriser l’utilisation de produits en chanvre dans le bâtiment », souligne Vincent Hannecart.
Pourquoi un tel retard du chanvre dans la construction française ?
Mais alors, si le chanvre peut se targuer d’avoir autant d’atouts, pourquoi n’est-il pas plus présent dans le bâtiment ? « Les études sont relativement anciennes, elles datent d’il y a deux ans. Mais on estimait qu’en France, sur les 200 000 logements construits chaque année, la part de bâtiments construits en béton de chanvre représentait 0,7 % de part de marché de la construction neuve », précise le président de Construire en chanvre.
Les raisons de ce « retard » sont multiples, à commencer par le prix. « On a une matière première qui coûte un peu plus cher, car nous avons un niveau de prix à garantir aux agriculteurs, qui font pleinement partie de la filière. De ce fait, nous avons un isolant qui est à peu près 15 % plus cher que les autres», explique Vincent Hannecart.
La filière doit également veiller à amortir les outils de fabrication. « On ne peut pas être un concurrent de Saint-Gobain, qui amortit ses usines de laine depuis 50-75 ans. On ne peut pas être à isocoût », renchérit Philippe Lamarque. « Pour autant, si on prend en compte toutes les qualités que l’on a relevées, et en prenant en compte le prix global, nous sommes à isocoût, voire moins cher. Les différentes économies réalisées sur le chauffage ou encore la climatisation, font qu’en définitive, le béton de chanvre est moins cher », ajoute-t-il.
La formation peut également être un frein à la démocratisation du chanvre dans la construction. « Il y a peut-être un manque de savoir-faire. On a de moins en moins de maçons, donc il faut miser sur les formations. Construire en chanvre en dispense beaucoup pour pallier ces manquements », estime Vincent Hannecart.
Des freins persistent, mais n’empêchent pas le secteur de redoubler d’ambitions, comme en témoignent les mots de Philippe Lamarque. Si la part de bâtiments construits en béton de chanvre représentait une faible part de marché de la construction neuve il y a deux ans, « l’objectif partagé avec les ministères de l’agriculture et du logement est de passer à 7 % d’ici 2030. C’est l’enjeu de la totalité de la filière, de l’amont à l’aval », ambitionne le président de Construire en chanvre.
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Propos recueillis par Jérémy Leduc
Photo de Une : Adobe Stock