Exosquelette sur les chantiers : une solution miracle ? À nuancer…

Le 26 juin 2025, Hilti France – fabricant d’outils pour les professionnels de la construction - a publié une étude sur l’impact des exosquelettes sur chantier.
«L’utilisation des exosquelettes fait encore débat dans le monde professionnel, certains pensant que c’est une réponse évidente aux contraintes mécaniques et d’autres mettant en avant les limites observées en termes de gain pour la santé avec ce type de matériel », relève-t-on dans l’introduction.
Récoltés par l’Institut de Thérapie Manuelle et Physiothérapie (ITMP) avec le soutien de l’Organisme Professionnel Prévention Bâtiment Travaux Publics (OPPBTP), les résultats confirment « la réduction des douleurs exprimées aussi bien au niveau des membres supérieurs qu’inférieurs, sans report de charge ni perte de productivité ».
Un travail qui repose sur un modèle de compréhension et un questionnaire d’évaluation définis par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Un équipement porté en moyenne 120 minutes par jour
161 professionnels du bâtiments – et clients de Hilti - ont été équipés d’un exosquelette – modèle EXO-01, conçu par Hilti et Ottobock – pendant 6 à 12 mois. 52 des questionnaires remplis ont été exploitables, provenant de 40 opérateurs. Aucune femme n’a été relevée dans le panel, dont la moyenne d’ancienneté est de 13,9 ans dans le métier et de 11 ans dans l’entreprise. 62 % d’entre eux sont des électriciens.

À souligner que l’étude a été menée à titre exploratoire. Elle ne vise pas à exposer l’EXO-01 comme un dispositif pour des professionnels frappés de troubles chroniques voire sous restriction médicale d’aptitude. « En revanche, des opérateurs se plaignant d’une gêne et/ou de douleurs de légères à intermédiaires (même régulières) sont intégrés dans l’étude car celle-ci vise justement à évaluer l’évolution de cette gêne et de ces douleurs », indiquent ses auteurs.
« En moyenne l’exosquelette a été porté 120 minutes par jour, 2 jours par semaine», souligne Hilti France. La durée d’utilisation oscille de moins de deux mois à plus de 9 mois, mais doit être rapportée à la durée de mise à disposition du dispositif, qui varie selon les entreprises.
Ainsi, le ratio d’utilisation est assez divisé. D’un côté, dans 40 % des cas, le recours à l’outil représente 20 % du temps d’expérimentation. Ce qui peut signifier un « abandon de l’usage soit par rejet de l’équipement, soit du fait d’un changement de chantier, les nouvelles tâches à réaliser ne justifiant plus l’exosquelette ».

Pour plus d’un tiers des répondants, « la durée d’utilisation est proche de la durée de mise à disposition, évoquant un usage effectif de l’équipement », apprend-on dans l’étude. Les électriciens sont particulièrement concernés, car exposés à des travaux bras en hauteur sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Un recul de la douleur aux membres supérieurs dans 27 % des cas
Côté ressenti, 20 % des utilisateurs notent un recul de l’apparition de douleurs, sans apparition de nouvelles, ni compensation et report de contrainte.
Des résultats particulièrement constatés au niveau de la région cervicale, les bras et le dos (27 %). Utiliser l’EXO-01 « aide bien au soulagement des épaules et des bras, mais aussi du dos et de la nuque parce qu’on est moins crispé », témoigne un professionnel interrogé. Les retours sont plus positifs chez les professionnels dont l’ancienneté au poste se situe entre 10 et 30 ans. Les améliorations sont moins significatives au niveau des membres inférieurs (genoux et jambes).

« Dans 9 % des cas, des douleurs sont ressenties comme apparaissant plus fréquemment depuis l’utilisation de l’exosquelette », écrivent les auteurs de l’étude. Mais il s’agirait de douleurs déjà ressenties par le passé. Hilti France avertit toutefois qu’une utilisation fractionnée plutôt que continue aboutirait à une amélioration dans l’état des douleurs et gênes.
Quand on demande aux répondants l’impact de l’exosquelette sur leur baisse de fatigue et de leurs efforts, comme l’amélioration des conditions de travail, voire du sentiment de sécurité, le score tourne autour de 3 sur 5, soit égal ou supérieur au score moyen.

« Le point sur la sécurité perçue, montre une réserve des répondants sur leur sentiment d’être en sécurité avec l’exosquelette (moyenne 2,9/5)», est-il détaillé dans l’étude. Il faut dire que certains témoignages déplorent des situations où l’exosquelette devient encombrant, « s’accroche » lors des chantiers en hauteur (trappes d’échafaudages, plateformes de travail, structure de plafonds suspendus).
Des professionnels « moyennement d’accord » sur le bon ressenti de l’utilisation
Point également analysé : l’impact des exosquelettes sur la productivité.Parmi les retours des professionnels, l’un d’entre eux trouve qu’« une fois les réglages faits, pas de problème pour s’équiper chaque jour ».
Sur les sept questions posées sur l’utilisation de l’EXO-01, la moitié des répondants notent sa facilité d'utilisation à 4 sur 5, voire plus. Plus de répondants se disent « moyennement d’accord » sur le bon ressenti dans l’utilisation, le contrôle des mouvements et des déplacements, voire la capacité d’assimilation de l’outil.
La plupart sont « plutôt d’accord » que recourir à l’appareil demande plus de concentration, bien qu’ils soient plus « moyennement d’accord » sur le caractère dérangeant de l’appareil. Dans les témoignages, un opérateur s’inquiète des problèmes de transpiration générés par l’exosquelette en été et de l’impact sur l’hygiène. Un autre suggère la livraison de plusieurs mousses par dispositif, pour leur nettoyage entre utilisations. « En hiver : pas pratique avec doudoune », estime un électricien tertiaire.
L’exosquelette « manque un peu de puissance », selon un professionnel
«La performance (en vitesse, qualité, productivité, efficacité) est très majoritairement ressentie par les opérateurs comme identique avec exosquelette ou sans. Cela correspond à l’objectif d’une réduction des efforts en maintenant la performance et peut être considéré comme un résultat positif tant il est fréquent que les expérimentations nous montrent une dégradation de la performance dans les premiers temps (jours, semaines) d’utilisation », analysent également les auteurs de l’étude.
Un électricien dans l’industrie déplore que le modèle de Hilti France « manque un peu de puissance ». Avis partagé avec un monteur réseau/infra, même si l’appareil est « réglé à fond, notamment pour le sertissage hydraulique ».
Il n’empêche qu’un spécialiste des fluides et gaz médicaux trouve l’outil « top pour monter du supportage sur plateau nu » et qu'il soulage un électricien tertiaire « pour les percements, jointements ».
Une meilleure prévention contre les TMS
« Les résultats ne montrent pas d’appréhension face à un risque de modification/dégradation de l’identité professionnelle en lien avec l’intégration de l’exosquelette. Les avis sont partagés sur le fait que l’exosquelette contribue à valoriser le travail, avec un résultat à peine supérieur à la moyenne, en revanche les avis sont plus tranchés sur le fait que l’exosquelette a bien sa place parmi les équipements de travail », est-il écrit dans le rapport.
Ses auteurs précisent : «Il n’y a pas de crainte exprimée sur l’atteinte au sens du travail ni sur le risque de perte de compétences (et pas non plus le sentiment d’en développer de nouvelles) ».
D’autant que les résultats montrent des effets indirects positifs sur la communication et la prévention des troubles musculosquelettiques (TMS) au sein des équipes.
Lorsqu’on compare cependant les réponses avant et après l’utilisation des exosquelettes, l’avis favorable chute, passant par exemple de 90 % à 75 % chez les encadrants.
Si l’enthousiasme quant à l’équipement d’un exosquelette est moins marqué, plus de la moitié des répondants retenus souhaitent continuer à y recourir.
« Si l’efficacité est donc prouvée, cette étude montre également qu’il convient d’intégrer l’adoption de l’équipement dans une démarche globale avec un diagnostic préalable des besoins des travailleurs pour assurer une intégration optimale de l'exosquelette dans leur quotidien professionnel », concluent l’ITMP et l’OPPBTP.
Du côté de Hilti France, ces retours ont permis de revoir son modèle EXO-01. En résulte l’EXO-S, dont l’ergonomie et la praticité ont retravaillées, pesant ainsi 2,4 kg. Une évolution par laquelle le fabricant veut cibler d’autres corps de métiers (industrie, hôpital, etc.).
Par Virginie Kroun
Photo de Une : Hilti France