Loi Elan : l’accessibilité sacrifiée ? Un rapport gouvernemental dérange

Censuré, allégé, contesté : le rapport sur l’accessibilité des logements neufs, encadré par l’article 64 de la loi Elan, fait polémique. D’abord critique dans sa version initiale, il a été réécrit par l’administration avant d’être transmis au Parlement. Un texte édulcoré, jugé trompeur par les associations, qui révèle les limites d’un dispositif pourtant censé favoriser l’inclusion.
Chronologie express
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Une accessibilité revue à la baisse
Depuis 2018, la loi Elan autorise les maîtres d’ouvrage à ne construire que 20 % de logements accessibles dès la livraison, les autres devant être « évolutifs », c’est-à-dire adaptables plus tard en cas de besoin (perte d’autonomie, handicap, vieillissement…).
Sur le papier, un compromis : rendre le logement accessible à ceux qui en ont besoin, sans imposer de normes coûteuses à l’ensemble du parc neuf. Mais dans les faits, l’application de l’article 64 soulève des doutes croissants.
Un rapport critique… qui ne verra jamais le jour
À l’automne 2023, l’IGEDD remet un rapport détaillé au gouvernement. Il y pointe :
• L’absence de données fiables sur les logements réellement rendus adaptables.
• Le décalage entre les obligations théoriques et les plans livrés par les promoteurs.
• Des surfaces adaptables insuffisantes, rendant impossible l’installation d’une douche ou d’un fauteuil dans de bonnes conditions.
Mais ce rapport, pourtant public de droit, ne sera jamais diffusé. À la place, une version rédigée en interne par l’administration est remise aux députés en avril 2025. Elle passe sous silence la plupart des critiques, évoque des « retours encourageants » du terrain et évite soigneusement tout jugement global.
Associations et défenseurs des droits en colère
Le Collectif Handicaps, APF France Handicap et d’autres ONG montent aussitôt au créneau. Ils dénoncent une tentative de masquer les failles du dispositif, et un recul majeur de l’accessibilité universelle inscrite dans la loi de 2005.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), de son côté, rappelle que l’égalité d’accès au logement est un droit fondamental, incompatible avec une politique de quotas.
Zoom technique : c’est quoi un logement « évolutif » ?
Un logement évolutif est censé pouvoir être transformé pour devenir accessible sans gros travaux. Concrètement :
• Il doit permettre d’ajouter une douche PMR, élargir les circulations, adapter les accès.
• L’ajout de 1 à 2 m², toléré par certaines DDT, est largement insuffisant : il en faut souvent 6 à 8 m².
• Certains murs doivent être non porteurs pour permettre les modifications.
• Dans de nombreux projets, ces conditions ne sont ni respectées ni vérifiées.
Une question de faisabilité... ou de volonté politique ?
Le gouvernement défend sa réforme comme un compromis pragmatique, adapté aux besoins réels. Mais ce discours se heurte à la réalité des plans d’architectes, à la pression des coûts, et au manque de contrôle terrain.
L’IGEDD elle-même estimait que la plupart des logements dits « évolutifs » ne sont pas réellement adaptables dans des conditions acceptables.
Que peut faire le Parlement ?
Plusieurs élus ont réclamé la publication du rapport complet de l’IGEDD, et envisagent une révision législative. Parmi les pistes évoquées :
• Rétablir une obligation de 100 % accessibles dans certains programmes (logements sociaux, résidences seniors).
• Créer un label accessibilité renforcée pour encourager les bonnes pratiques.
• Conditionner les aides fiscales ou permis à des objectifs d’accessibilité réels.
Une ouverture vers un débat de société
Alors que la population vieillit et que les inégalités face au logement s’accroissent, l’accessibilité devient un enjeu central. Mais ce rapport tronqué soulève une question gênante : la puissance publique cherche-t-elle à évaluer honnêtement ses propres choix ou à les dissimuler derrière des rapports de façade ?
Et si, dans dix ans, il fallait rénover massivement tous ces logements évolutifs qui ne le sont pas ?
Par Camille Decambu