Mayotte : fin programmée des titres de séjour territorialisés en 2030

Le 11 juin, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a franchi un cap important dans l’examen du projet de loi-programme pour Mayotte. Les députés ont voté l’abrogation des titres de séjour territorialisés en vigueur dans le département ultramarin. Ce visa spécifique empêche actuellement ses détenteurs de circuler librement vers l’Hexagone.
L’élue mahoraise Estelle Youssouffa (non-inscrite) n’a pas mâché ses mots : « L’État utilise notre insularité pour transformer Mayotte en cocotte-minute et isoler le problème migratoire en fixant la population comorienne sur notre île ».
Si l’élue proposait une suppression immédiate du dispositif, elle a finalement retiré son amendement en faveur de celui de Philippe Gosselin (LR), co-rapporteur du texte, qui fixe la suppression à 2030. « Nous devons envoyer un vrai signal, tout en donnant du temps au temps pour que les outils de lutte contre l’immigration illégale soient pleinement opérationnels », a justifié le député.
Un consensus fragile, des inquiétudes persistantes
La mesure a été saluée par le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, qui a parlé d’un vote « utile » et a souligné « la hauteur des débats » menés en commission. Il s’est félicité de l’accord trouvé entre les rapporteurs. Mais en coulisses, les tensions restent vives.
Emeline K/Bidi, députée de La Réunion, s’est démarquée de son groupe GDR en exprimant son inquiétude : « En l’état actuel, la suppression de ce titre risque de déplacer le problème migratoire non pas vers l’Hexagone, mais vers La Réunion. Notre île est déjà le troisième département le plus pauvre de France ».
La position du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau est également à noter : il reste fermement opposé à cette suppression, ce qui révèle des divergences au sein du gouvernement sur la stratégie à adopter dans les territoires ultramarins.
Un projet de loi global pour "refonder" Mayotte
Le projet de loi-programme, déjà adopté au Sénat, sera débattu dans l’hémicycle à partir du 23 juin. Il entend répondre aux défis multiples que connaît Mayotte : pression migratoire, explosion démographique, tensions sociales et urbanisme non maîtrisé.
Un rapport annexé, adopté en parallèle, prévoit près de 4 milliards d’euros sur sept ans pour accompagner la transformation du territoire. Il comprend également des engagements en matière de convergence sociale, notamment sur le RSA, actuellement deux fois inférieur à celui de la métropole.
Néanmoins, ce rapport n’a pas de valeur juridique contraignante, ce qui interroge sur la capacité réelle de l’État à tenir ses promesses.
Urbanisme : coup d’accélérateur contre l’habitat informel
Autre mesure marquante : les députés ont validé en commission des Affaires économiques la possibilité pour l’État de détruire un habitat informel sous 24 heures, contre 4 jours actuellement, lorsque la construction est récente (moins de 7 jours). Ce dispositif vise à répondre à la prolifération d’habitats insalubres, mais inquiète les associations de défense des droits.
La gauche dénonce en effet une dérive : « Supprimer l’obligation de relogement d’urgence revient à traiter les occupants comme des variables d’ajustement », ont alerté plusieurs élus, soulignant le caractère expéditif de la mesure.
Expropriations : un encadrement après une première levée de boucliers
Enfin, la mesure initialement prévue pour faciliter les expropriations à Mayotte a été réécrite. Elle se limitera désormais aux infrastructures portuaires et aéroportuaires, après une levée de boucliers des élus locaux qui redoutaient un accaparement foncier généralisé.
Près de 170 amendements restent à étudier.
Par Jérémy Leduc
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