Biosourcés marins : des expérimentations font surface
Il y a la mer de Charles Trenet, qui chantait ses « reflets d’argent ». Puis il y a celle qui abrite des ressources intéressantes pour le secteur du BTP. On retrouve le sable, bien évidemment, mais certaines matières répondent plus à la logique d’éco-construction.
« Depuis les années 1980, on a donné à l'acte de construire une finalité mercantile. D’ailleurs, on a énormément standardisé les modèles architecturaux, où que ce soit dans le monde », remarque Clémence Bechu, en ajoutant : « Aujourd'hui, au regard des enjeux écologiques sans précédent, on se rend compte qu'il faut revenir un peu plus au bon sens des anciens, auquel font appel les principes bioclimatiques par exemple ».
Son agence d’architecture et d’urbanisme s’intéresse aux matériaux d’origine marine, dont les coquillages, « utilisés pour des infrastructures, notamment routières ». Il s’agit d’« un matériel poreux, qui permet aux eaux de s'infiltrer », explique Mme Bechu.
Le coquillage, pas seulement une solution d’habillage
Le coquillage s’applique sans surprise dans la décoration du bâtiment et les revêtements de sols et de murs. Ostrea, entreprise établie à côté de Rennes, produit des panneaux utilisés pour des plateaux de table ou de bureaux. « Esthétiquement, nous avons choisi l’huître, la Saint-Jacques et la moule, qui donnent un style terrazzo », nous indique Adam Habouria, responsable prescripteur chez Ostrea.
Sa formulation est composée à 65 % de paillettes de coquillages et 35 % d’une matrice minérale. À partir de mars 2025, l’industriel aura l’appareil de production pour aborder pleinement son autre segment : les parements muraux et sols. Car les cristaux de carbonate de calcium qui forment ces coquilles présentent de fortes capacités mécaniques.
Le panneau fabriqué par Ostrea est ainsi « comparable à de la pierre naturelle, en termes de résistance à la compression et à la flexion. Il a des contraintes physiques. Par exemple les microporosités, qu'il contient après la cure, ne résistent pas énormément aux tâches et à l'eau », poursuit-il. D’où le traitement de surface en fin de fabrication.
Les coquillages renferment d’autres richesses. C’est le cas de la moule et son byssus – fibre l’aidant à s’accrocher sur un rocher. Ce filament brun est naturellement ignifuge et résistant aux forces de torsion et de flambement durant les tempêtes.
Des propriétés mobilisées par l’entreprise Bysco, qui, sur son usine de Cancale, arrive à nettoyer et extraire le byssus. La matière est ensuite transformée en textile sur une plateforme technologique à Roubaix. Au moins 50 tonnes de matériaux sont produites chaque année et commercialisées dans différents secteurs, dont le bâtiment.
Les algues marines, terreau d’expérimentation…
Les végétaux marins auraient également des vertus isolantes. C’est même l’objet d’un consortium de recherche, monté par l’agence d’architecture In Situ, Tox Sea In, Nobatek/Inef 4, ainsi que le Cerema.
Les quatre partenaires mènent une expérimentation financée aux deux-tiers par l’Ademe. L'objectif : concevoir un bloc de remplissage isolant, à partir, entre autres, d’un mélange de terres argileuses et de sargasse - une algue brune notamment présente en grande quantité dans les Antilles.
« Il s'avère que la sargasse a un très bon pouvoir isolant. On a obtenu un matériau avec un coefficient thermique de 0,09, soit deux fois supérieur à un isolant pétrochimique, qui tourne en général à 0,04», compare Nicolas Vernoux-Thélot, architecte associé de l’agence In Situ. « Mais en termes d'isolant biosourcé, on est un peu dans la fourchette haute, bien que la laine de bois soit plus performante », abonde-t-il.
Le consortium a commencé les essais en 2022, et a achevé une phase de test sur l’innocuité environnementale, c’est-à-dire l’impact de leur formulation sur la santé. Les algues sont réputées pour absorber, retenir et relâcher, au contact de l’eau, des métaux lourds, mais également des gaz.
Alors que la sargasse renvoie l’hydrogène sulfuré, de l’ammoniac et de l’arsenic, le matériau maîtrise ces seuils. « Nous sommes en train de terminer les derniers blocs de formulation, puisque cet équilibre entre les seuils à respecter, l’innocuité environnementale et les formulations, nous a amenés à refabriquer des séries et des séries », nous confie M. Nicolas Vernoux-Thélot.
Des phases de prévieillissement sont en cours au sein d’enceintes climatiques, afin de simuler l’impact de conditions environnementales sur ces blocs. Une phase de vieillissement sera également effectuée de décembre à février prochain.
« Ensuite, à la fin du programme [fixée en 2025], il est prévu de réaliser un démonstrateur, c'est-à-dire un échantillon d'environ 2 mètres par 2 mètres, qui va nous permettre de pouvoir aboutir à notre programme et de passer la main à un industriel, ou une entreprise sur place qui pourrait l’appliquer », nous expose l’architecte de l’agence In Situ.
La part belle à la revalorisation et aux circuits-courts
« Ce qui est intéressant dans les matériaux biosourcés, c'est que, très souvent, on transforme une contrainte en opportunité », note encore Clémence Bechu.
C’est le cas des byssus, quand on sait que les myticulteurs de la baie du Mont Saint-Michel – à côté de laquelle est basée l’activité de Bysco – sont interdits d’épandage. Cette pratique consiste à enfouir les déchets marins dans les plages, au détriment de l’environnement et d’une valorisation de ces ressources.
Selon une étude de France Agrimer, il existe chaque année un gisement d’environ 4 500 tonnes de byssus. En plus de récupérer ce co-produit auprès d’un réseau de mytiliculteurs, Bysco affirme qu’il est possible de le recycler, en le réintroduisant dans la filière textile.
Ostrea, de son côté, puise auprès d’ostréiculteurs - exclusivement bretons - des coquillages « non-conformes à une utilisation agroalimentaire », alors qu’entre 150 000 et 250 000 tonnes de coquilles de mollusques marins sont rejetées chaque année en France.
Bien que les panneaux d’Ostrea n’aient pas encore leur FDES, l’industriel a évalué en interne l'impact carbone de sa production. Les matières utilisées ne sont certes pas toutes recyclées, mais totalement recyclables, selon Adam Habouria : « Cela peut être réutilisé dans la production de panneaux, mais cela peut aussi se réduire en poudre, pour le remélanger dans l’ensemble ».
L’impact carbone est aussi limité durant la transformation de sa pâte mélangée en un matériau-pierre. « Nous n’utilisons pas de four. C’est une cure naturelle qui se fait dans une serre humidifiée 28 jours », nous informe le responsable prescripteur d’Ostrea. Seules les machines de mélange ont un impact carbone.
Nicolas Vernoux-Thélot est plus nuancé concernant les sargasses : « Les sargasses ont toujours existé. Une mer de sargasses a déjà été identifiée au 16ème siècle ». L’architecte décrit une ressource au départ vertueuse « puits de carbone » et un « écosystème » essentiel à la vie marine.
Mais aujourd'hui, leur prolifération « exponentielle » dans le bassin caraïbéen et sur les côtes normandes préoccupe. Une forte invasion des sargasses sur les littoraux peut asphyxier ces derniers, et poser problèmes à la pêche, à l’ostréiculture ainsi qu’à l’agriculture. Aux Antilles françaises, environ 250 000 tonnes de sargasses s’accumulent chaque année.
De plus, un arrêté sur le territoire interdit de les laisser plus de 72h, mais comme elles n’ont pas le statut de déchet, difficile de savoir quoi en faire. Peut-être que leur revalorisation en bloc de remplissage fournira une première réponse…
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Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock