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Construire réversible, une approche économique à long-terme selon Anne Démians

Publié le 20 décembre 2023

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Alors que la loi incite à construire moins pour des raisons à la fois économiques et écologiques, l’architecture réversible devient une solution plus viable. Anne Démians, architecte spécialiste en la matière, nous donne son avis sur la question.
Construire réversible, une approche économique à long-terme selon Anne Démians - Batiweb

Comment doit-être conçu un projet réversible, selon vous ?

 

Anne Démians : Un « ouvrage réversible » se caractérise par cinq points. Il montre un pas d’étage à étage de trois mètres faisant amplement entrer la lumière dans les espaces habités. Il se dessine sur une trame structure unique. Il installe des systèmes porteurs et des flux verticaux (escaliers, ascenseurs, fluides) contenus dans une colonne verticale pour faciliter, à coût très faible, les changements de cloisonnement lorsqu’il y a évolution des usages. Il affiche un plan libéré de tous murs porteurs - permettant les évolutions du cloisonnement - et s’entoure d’espaces extérieurs généreux et protégés. 

Construire réversible ne veut pas dire proposer une esthétique générique de l’architecture. La volonté de concevoir des bâtiments capables de traverser le temps, de s’adapter aux mutations des usages, et des modes de vie de nos sociétés, devient caduque si on omet d’intégrer une dimension poétique et spirituelle dans la composition des espaces. La dimension poétique (ou artistique) crée un lien privilégié avec les citadins.

Est-ce que construire réversible coûte plus cher ? 

 

Anne Démians : Construire réversible n’est pas plus cher que construire traditionnellement. La bonne méthode d’approche économique choisie pour construire et l’investissement fait à long terme ramènent les prix de construction à un prix courant ou raisonnable. 

C’est enfin l’occasion de construire mieux et plus longtemps. C’est surtout l’occasion de considérer que nos espaces domestiques ont besoin de lumière et que la qualité d’un logement et d’un bureau sont très proches. En intégrant, dès l’origine, dans le projet, sa capacité à s’adapter aux changements de destination, on ne génère pas de surcoût. Les espaces concernés d’un bâtiment changent d’usage à moindre coût. Seuls les terminaux sont modifiés : les faux-plafonds, les luminaires…

La réversibilité est-elle mentionnée dans la RE2020 tertiaire ?

 

Anne Démians : La réversibilité d’un bâtiment n’est pas spécifiquement inscrite dans la RE2020. Valoriser la réversibilité dans le cadre de cette réglementation n’est pas facile.

Or, à mon sens, la renaissance de la ville du futur portera avec elle une « nouvelle esthétique ». Elle démontrera que la ville est bien un organisme vivant s’adaptant aux diverses mutations d’usage et devant se montrer en même temps peu émissive en carbone. Il s’agit de changer de paradigme de l’architecture d’un bâtiment au profit de la ville. Il s’agit de construire moins et pour plus longtemps.

Quelles améliorations sont à mener pour massifier la réversibilité dans le tertiaire neuf ? 


Anne Démians : La facilité de nos villes à se transformer, au plus près des usages, passe par une adaptation des réglementations en vigueur contribuant malheureusement à l’étalement urbain. Et cela, au détriment des espaces naturels ou agricoles.

Il s’agit donc, en premier lieu, pour réussir pleinement une telle opération, d’harmoniser la fiscalité entre celle qui affecte les bureaux et celle qui s’adresse aux logements. L’important étant que ces taux d’imposition, différents par nature, ne freinent pas l’affectation, puis la transformation des usages.

Le 119ème congrès des notaires, auquel j’ai été invitée à participer au mois de septembre de cette année 2023, a acté des mesures fiscales permettant ce type de mutations. Cette étape importante est la première, car si nous voulons atteindre les objectifs 2050, il va falloir arrêter la construction de bâtiments dont la durée de vie est de 15 à 20 ans. Véritable gâchis en termes d’empreinte carbone et de santé, véritable gâchis en termes de gaspillage de temps et de matières. 

Une autre mesure importante est celle qui devait acter l’obligation de démontrer que la réversibilité de l’ouvrage à construire est bien effective. Cette disposition, à inscrire dans le cadre de la phase permis de construire, devient essentielle au bon fonctionnement de la proposition « réversible ».

Il s’agira aussi d’homogénéiser les réglementations incendie, entre celles qui règlent les bureaux et celles qui président à la construction des logements. On facilitera ainsi la construction de « bâtiments mutables ».

Pouvez-vous nous citer un exemple de projet de réversibilité, compatible avec la RE2020 tertiaire ?

 

Anne Démians : La réalisation des Black Swan qui forment une pièce urbaine de plus de 30 000m², livrée à Strasbourg en 2019 avec Icade. Cette réalisation est la mise en pratique d’une réflexion théorique et opérationnelle menée sur la ville. Une réflexion que je porte depuis des années.

Projet Black Swans de l'agence Architectures Anne Démians - Crédits photos : Martin Argyroglo
Projet Black Swans de l'agence Architectures Anne Démians - Crédits photos : Martin Argyroglo

Désenclavant une ancienne friche industrielle, proche de la Cathédrale, les Black Swan s’ouvrent sur les quartiers adjacents. Et, plutôt que d’exprimer, avec des architectures bavardes et distinctives, la diversité du programme qui m’avait été confiée, j’ai préféré oublier la ligne des produits préformatés récents - comme celle qui pollue l’expression de nos logements, de nos bureaux ou de nos hôtels, par exemple - pour leur donner un profil géométrique simple, poreux, hybride, modifiable et, bien sûr, confortable. 

L’acte de construire a été dissocié de la définition propre du programme. On retarde ainsi l’affectation définitive des espaces construits. En effet, certaines décisions étant assujetties à un marché immobilier volatil, elles sont fluctuantes et perturbent les temps de réalisation. On regagne une liberté d’action et on révèle les forces spécifiques d’un territoire, les caractéristiques cachées d’un quartier, la face inédite d’une architecture. Car il s’agit d’installer, dans le temps long, une densité verticale rendant compatibles les aspirations individuelles et les enjeux collectifs. 

Entre le moment du concours et sa réalisation, les affectations des surfaces des immeubles ont évolué de plus de 50 %. Mais pour que chacun puisse goûter à des espaces extérieurs généreux, j’ai fait construire coursives, loggias et balcons ceinturant les bâtiments, afin de rapprocher l’esprit des espaces de travail de ceux du logement. 
 

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Stéphane de Sakutin - AFP

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