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RE2020 tertiaire et réversibilité, deux notions compatibles ?

Publié le 30 octobre 2023

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La RE2020 tertiaire est arrivée dans un contexte où l’immobilier est sur une pente glissante, amorçant la fin des complexes tertiaires. Pour pouvoir réinventer ces structures, l’architecture réversible est de plus en plus envisagée, dès la conception. Mais quelle place occupe ce principe dans la réglementation ? Réponses.
RE2020 tertiaire et réversibilité, deux notions compatibles ? - Batiweb

En vigueur depuis janvier 2022, la RE2020 s’est appliquée progressivement. Le 1er juillet 2022, la nouvelle réglementation de la construction neuve s’est élargie aux bureaux et bâtiments d’enseignement primaire et secondaire.

 

La réversibilité, une solution à la fin des « grands complexes tertiaires »
 

La RE2020 sert de calcul et fixe des seuils réglementaires, notamment en termes de besoins bioclimatiques (chauffage, éclairage, rafraîchissement). Mais concernant les bâtiments de bureaux, le besoin de construction doit être questionné. D’autant qu’avec l’avénement du télétravail, la vacance de bureaux se prononce.
 
Avec le déploiement du télétravail, la fin des grands complexes tertiaires est amorcée, notamment en Île-de-France, comme le souligne Mohamed Dahrouch, directeur opérationnel de Valoptim, promoteur immobilier expert en architecture réversible : « Aujourd’hui, à La Défense, les bâtiments ne sont plus adaptés pour faire exclusivement de l'usage de bureaux. Il faut aller vers la mixité, et surtout la mixité des usages », nous cite entre autres ce dernier.

Avis partagé avec Patrick Rubin, architecte et co-fondateur de Canal Architecture. « Jusque dans les années 60, les immeubles n'avaient pas de destination précise. Vous pouviez habiter et avoir au-dessus de vous des entrepreneurs, en bas une épicerie et dans la cour un atelier artisanal. Puis, on a affecté les destinations, sous couvert de planification ciblée, il fallait maîtriser le développement des territoires, des villes nouvelles : habitat, bureaux, activités... ».
 
« Les cités monofonctionnelles ont démontré leurs dysfonctionnements et les conséquences, souvent brutales, de la sectorisation. Les aménageurs et les opérateurs réfléchissent progressivement en termes de mixité, ils engagent désormais des réflexions sur la flexibilité permanente et la mutation rapide des programmes », évoque l’intéressé.

La notion n’est pas inscrite dans la RE2020…

 

D’où l’intérêt de l’architecture réversible. Pour rappel, la réversibilité est un principe de conception visant à anticiper l’évolution du bâtiment neuf, avant sa construction. Elle permet différentes options : réversibilité partielle - par exemple moitié logement, moitié tertiaire - ou totale - composée soit de logements, soit de bureaux. 

Mais cette notion est-elle inscrite dans la RE2020 ? La réversibilité, « ce n’est pas un objectif en soi, parce que les objectifs de la RE2020, c'est d'être sobre en carbone, de consommer le moins d'énergie possible et puis d'être confortable en hiver et lors des pics de chaleur », nous répond Louis Bourru, directeur de projets Bâtiments Bas Carbone Groupe Énergie, Territoires et Bâtiment, au sein du Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema). 
 
Cela ne signifie pas pour autant que la réversibilité est absente dans les textes. « Le terme de réversibilité est inscrit dans la convention citoyenne du Climat », nous apprend Patrick Rubin de Canal Architecture. Comme évoqué sur Reporterre.net, les participants suggéraient l’examen de la réversibilité au stade du permis de construire ou de démolir, pour rendre ces permis opposables juridiquement. Or, la loi Climat et Résilience, adoptée en juillet 2021, impose une étude sur la réversibilité au stade des travaux. 
 
« La loi ELAN et le permis d’innover qui lui est associé nous ont autorisés à déposer un permis de construire à Bordeaux, obtenu le 3 mai 2023 », mentionne Patrick Rubin. Plus précisément, c’est la partie II de l’article 88 du texte en vigueur valant pour sept ans, qui instaure, depuis 2018, le « permis d’innover ».
 
« Il offre à l’Etat et aux collectivités la possibilité d’autoriser les maîtres d’ouvrage au sein d’opérations d’intérêt national (OIN), de grandes opérations d’urbanisme (GOU) ou d’opérations de revitalisation des territoires (ORT) (ces deux dernières hypothèses ayant été introduites par la loi ELAN) à proposer également des solutions alternatives aux règles de construction, en plus des règles d’aménagement à condition de démontrer que ces alternatives permettent d’atteindre des résultats satisfaisants par rapport aux objectifs poursuivis par les règles auxquelles il est dérogé », lit-on dans une notice explicative du Cerema

Pour le projet de réversibilité de Canal Architecture mené à Bordeaux, sur la ZAC Saint-Jean Belcier, une des dérogations peut portait sur le permis de construire, assez rigides. Sur le document Cerfa, il faut cocher soit logement, soit bureaux, soit une autre affectation. Il est compliqué de convaincre l’administration de cocher plusieurs à la fois. « Vous ne pouvez pas réaliser un immeuble, sans affectation précise, autrement qu'en déposant un permis qui vous autorise depuis 2018, par exemple, d'avoir indifféremment des bureaux et/ou des logements, et à tout moment pouvoir varier de l'un à l'autre », nous explique Patrick Rubin.

Extrait du travail mené pour assouplir le permis de construire, dans le cadre d'un projet démonstrateur d'architecture réversible - Source : EPA Bordeaux Euratlantique, SCCV Tour Elithis Bordeaux, Canal architecture
Extrait du travail mené pour assouplir le permis de construire, dans le cadre d'un projet démonstrateur d'architecture réversible à Bordeaux - Source : EPA Bordeaux Euratlantique, SCCV Tour Elithis Bordeaux, Canal architecture

« Avocats et notaires ont structuré avec l’EPA [Euratlantique] ce que l’on nomme une « étude d'impact » démontrant que l’opération cadrait avec la loi sur l'architecture, le Code de l’Urbanisme et les avancées dérogatoires soutenues par la loi ELAN », nous précise l’architecte. 

… mais présente un potentiel pour les ambitions de la réglementation

 

Inscrite ou pas dans la RE2020, la réversibilité est une voie tout à fait explorable afin d’atteindre les ambitions de la RE2020, selon Louis Bourru. « Quand on essaie de répondre aux objectifs bas carbone, cela demande de rechercher une durée de vie élevée, des matériaux et des bâtiments », souligne l’expert du Cerema.
 
« Donc cela va dans le sens d'avoir moins de matière, donc peut-être plus des structures avec des poteaux et des grandes dalles. C'est plutôt positif puisque c’est ce qui correspond à la réversibilité, plutôt que d'avoir des grands voiles, du béton. On dirait que sur la structure, on oriente déjà vers des solutions plutôt réversibles, qui ont plus de liberté à l'intérieur des plateaux », développe l’intéressé.
 
Certains matériaux et procédés reflètent cette compatibilité. « Cela encourage par exemple les protections solaires extérieures. Donc, c'est une bonne chose parce que si on a des bureaux déjà équipés de protections extérieures sur toutes les façades, on peut imaginer que pour les logements, ce sera aussi convenable. La construction en bois ou bien la construction mur béton et ossature bois sont aussi beaucoup encouragées par la RE2020. Ce sont des structures, qui peuvent être plus facilement réversibles », illustre M. Bourru. 
 
Or, lors des opérations de réversibilité, les seuils, tant de la RE2020 tertiaire que celle résidentielle doivent être alignés. Les seuils les plus contraignants de la mixité d’usages sont ciblés, explique Patrick Rubin. « Dans les lieux de sommeil, il faut assurer des performances acoustiques plus importantes que dans les lieux de travail. La portance de plancher est de 150 kg/m² pour les logements et 250  kg/m² pour les bureaux. On programme 250 kg/m² sur la totalité », illustre l'architecte. 

Les collectivités à sensibiliser
 

Pour le co-fondateur de Canal Architecture, la réversibilité réclame surtout un travail de sensibilisation. Pour le chantier bordelais, cela a impliqué un dialogue « complexe et délicat avec les pompiers du SDIS de Gironde », jusqu’au ministre de l’Intérieur. Et pour cause : la sécurité incendie n'est pas la même selon l'affectation du bâtiment. 

« En général, les gens dorment la nuit et travaillent le jour. Si jamais le feu se déclare dans un logement, on vient chercher les habitants avec l'échelle des pompiers, tandis que, quand le sinistre se déclare dans des bureaux, ce sont les usagers qui agissent en empruntant les escaliers de secours désenfumés. Conjuguer des contraintes opposées aura été le principal défi du sujet réversibilité », expose Patrick Rubin.
 
Troisième dérogation sur laquelle a travaillé Canal Architecture : la fiscalité, les redevances, les taxes, aussi sujettes à la construction. « Quand un opérateur réalise un immeuble sans destination préétablie, il ne peut évaluer, en début d’opération, quelle sera la fiscalité à appliquer. Des taxes applicables seront donc définies par les affectations déclarées, 90 jours après la date d’achèvement des travaux (DAT) », détaille M. Rubin.
 
« Les mairies aujourd'hui portent une importance certaine à tout ce qui est qualité, que ce soit résidentiel ou tertiaire, des bâtiments nouveaux », acquiesce Mohamed Dahrouch. « Le point qui est toujours bloquant dans une démarche de réversibilité, c'est surtout de savoir si le PLU va me le permettre ou si la collectivité en charge du PLU va s'adapter. Je pense que oui, avec cette accélération des obligations, au niveau des économies d'énergie », ajoute le directeur opérationnel de Valoptim. 
 
Selon lui, convaincre les élus doit passer par une incitation économique, sous forme de subventions, de financements verts. Cependant, « il faut que ce soit bien contrôlé, bien cadré. Il faut que toutes les entreprises aient une qualification », comme pour la mention RGE, obligatoire pour mener des travaux éligibles aux aides à la rénovation énergétique.

 

La réversibilité dans la prochaine réglementation ?

 

Peut-on quand même voir un jour la réversibilité inscrite dans la prochaine réglementation de la construction ? C’est ce que semble souhaiter Mohamed Dahrouch, de Valoptim. « Il faudrait pouvoir intégrer, dans l’indice construction, une prise en compte de la réversibilité», soutient-il.

Pour Patrick Rubin, cette possibilité est pour après-demain. « Viendra le temps des programmes mutants, nous sommes nombreux à l’évoquer. Cette démarche est principalement initiée pour moins détruire demain, pour maîtriser l’avenir des constructions et de leur poids carbone », abonde l’architecte, qui ouvre la discussion vers une autre direction : la transformation des bâtiments existants.

Ce chemin est aussi emprunté par Valoptim. « C’est à nous de faire la démarche avec les promoteurs et la fédération des promoteurs immobiliers. On a beaucoup parlé de Zéro Artificialisation Nette des (ZAN) sols. Il va falloir aussi réhabiliter plutôt que de démolir ou de construire du neuf », défend son directeur opérationnel. 

« Alors réhabiliter, cela ne veut pas dire réversibilité, j’entends, mais sachez qu'aujourd'hui les grands groupes comme Nexity ou Cogedim créent carrément aujourd'hui des filiales de réhabilitation. Et la réversibilité peut s'adapter totalement dans ce cadre », décrypte-t-il.

Ces questionnements engagent « à observer les bâtiments anciens différemment. Évoquons non plus la réhabilitation lourde mais la transformation et même la réparation des bâtiments existants », poursuit Patrick Rubin. « Réparations douces mais garantes de toutes les règles applicables, initiant de nouveaux métiers, inventant de nouveaux procédés pour aborder, avec plus d’agilité l’abondant stock de notre patrimoine existant », conclut l’architecte.

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de une : Adobe Stock

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