ConnexionS'abonner
Fermer

Pour les maires ruraux, le terrain du ZAN est encore miné de contraintes

Publié le 25 mai 2023

Partager : 

Alors que les textes législatifs tendent à définir les modes d’application du ZAN, comment se situent les élus ruraux face à cette mesure anti-artificialisation des sols ? Réponses avec les maires d’Anglards-de-Salers (15), de Murol (63) et de Cléden-Cap-Sizun (29).
Pour les maires ruraux, le terrain du ZAN est encore miné de contraintes - Batiweb

Si l’ensemble des acteurs concernés entendent les ambitions de sobriété foncière affichées par le gouvernement pour 2050, beaucoup critiquent le manque de modèle économique, et plus généralement l’absence d’un modèle d’application du ZAN.

Un texte dédié a été adopté par le Sénat le 16 mars dernier, et doit maintenant être mis à l'ordre du jour de l’Assemblée nationale. Les sénateurs ont d'ailleurs demandé une accélération des débats parlementaires pour aboutir à un modèle d’application, « avant l’été ».

Cela rassure-t-il les collectivités, en particulier rurales, pour qui l’objectif ZAN est source d’inquiétudes ? En soit, éviter de construire sur des terres, notamment agricoles, est une idée « tout à fait louable et que nous défendons », tient à souligner Sébastien Gouttebel. Le maire de Murol, commune du Puy-de-Dôme (63), est membre de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) et soutient le ZAN.

« Je veux pas du tout accabler ce qui s’est fait dans le passé, mais on faisait moins attention à tous ces sujets-là. Et on construisait des maisons parfois sans trop réfléchir sur un plan d’urbanisme cohérent autour des centres anciens. On a un peu développé les communes en linéaire, le long des voies », reconnaît-il. « Là où on est moins d’accord, c’est de tout nous supprimer. Sinon ça ne va plus », nuance-t-il.

Même son de cloche pour François Descoeur, maire d’Anglards-de-Salers, village du Cantal (15) et qui travaille depuis deux ans avec Sébastien Gouttebel sur l’application du ZAN. Selon l’élu, il est primordial que « les territoires ruraux ne soient pas mis sous cloche, avec quasiment l'impossibilité de faire quelque chose ».

Toujours des flous législatifs et administratifs 

 

Certes, les parlementaires tendent à accélérer sur l’application du ZAN. « Mais derrière il n’est toujours pas sorti au niveau national, le décret d’application des grands projets dits nationaux européens. Tout le monde travaille un peu à l’aveugle, parce que ce sont les régions qui sont chargées de la mise en place des Sraddet, et qui par déclinaison font les ScoT et PLU », constate Sébastien Gouttebel. 

À cela s’ajoute l’absence de chiffres sur les marges de manoeuvre foncière possibles, une fois soustraits les projets d’intérêt national (lignes ferroviaires à grande vitesse, zones portuaires, prisons, casernes…). Le Sénat a acté que ces derniers seraient comptés à part. « Mais comptés à part, l’objectif reste toujours de diviser par deux et d’arriver à zéro », souligne le maire de Murol. 

Ainsi, d’ici 2030, « si on doit arriver à 50 %, il faut réduire à 50 %, mais quand tous les projets nationaux d’après la Fédération des ScoT s’accordent 25 %, la marge de manoeuvre est de 25 % pour arriver à 50 %. Un député que j’ai eu il y a dix jours m’a dit que ce n’était pas vraiment 25 %, c’était 8. Donc ça veut dire que l’effort qu’il va y avoir à conduire n’est peut-être pas de 50 % mais de 65 %, 70%, 75 % », nous expose l’intéressé avant de conclure : « Si l’État ne montre pas l’exemple dans ses projets dits nationaux, nous les communes on a qu’à faire n’importe quoi du coup ». 

Mais est-ce que la garantie rurale proposé à 1 % de territoire par le gouvernement, changerait la donne ? « Cela nous perturbe », nous confie Sébastien Gouttebel, car cela créerait un fossé trop profond entre les élus ruraux « qui ont pu faire n’importe quoi, pour les bonnes comme mauvaises raisons » et ceux qui auraient misé sur des « PLU et ScoT plutôt ambitieux » en termes de sobriété foncière. Les premiers auraient donc « 1 % de beaucoup » et les seconds « 1 % de beaucoup moins ».

Pour ce qui du 1 hectare de garantie rurale encouragé par les parlementaires, « c’est le début d'un quelque chose », estime l’élu de Murol. Cependant, « 1 hectare, ces fameux 10 000 m2, même si on doit faire de la densification, même si on a compris que globalement le modèle de la maison individuelle avec 2000 m2 de terrain autour allait s’estomper, il n’empêche que c’est très très peu de choses », juge-t-il. 

Avoir le droit aux projets de revitalisation des communes rurales

 

« Mais toutes les communes n’ont pas besoin d’un hectare, et de nombreuses communes ont besoin de beaucoup de plus d’un hectare », nuance Sébastien Gouttebel. Il détaille : « Dans le contexte où l’on parle de réindustrialisation, de reprendre la main sur le manque d’agriculture, tous les territoires sont en train d’établir des plans alimentaires territoriaux pour essayer de produire au plus près des bassins de vie ».

Ce qui nous amène à une revendication phare des maires ruraux : le droit au projet. « S’il se présente une opportunité, qui peut aider la commune à se développer, à créer des emplois ou autre chose, il faut qu’on puisse le faire. Et puis on revendique le droit de vivre sur notre territoire, c’est-à-dire qu’on ait la possibilité éventuelle de construire un peu », nous développe François Descoeur. 

Qui dit vivre sur un territoire, dit habitation. Mais comment cette question est considérée à l’échelle de la ruralité ? « Dans le monde rural, on pense qu’il n’y a pas besoin de construire de nouvelle maisons. J’arrondis un peu, mais c’est un peu ça », nous répond le maire d’Anglards-de-Salers, en ajoutant : « Effectivement ces dix dernières années, dans nos communes rurales, il ne s’est pas construit beaucoup de maisons ». 

Des préjugés qui creusent l’écart de foncier entre le rural et l’urbain, alors que la crise du logement en France préoccupe de plus en plus d’acteurs, y compris gouvernementaux. Or, avec les restrictions prévues par le ZAN, Sébastien Gouttebel craint un « risque de couper de tout une partie de la population de l’accession à la propriété ». D’autant plus avec l’accélération des ventes en province après les confinements. « Ceux qui sont venus acheter des biens, dans nos territoires ruraux en France, ce sont des gens qui ont 50 ans, et qui ont déjà payé la première maison », nous rapporte notamment le maire de Murol, où sur cinq ventes réalisés, quatre étaient des projets de résidence principale

Pareil à Anglards-de-Salers, où dix nouveaux habitants ont été dénombrés. Pour son maire, il s’agit d’une bonne relance, « mais il faut être très équipés ». Équipés en infrastructures (médicales, scolaires, de transports…), qui manquent dans les communes rurales. La commune d’Anglards-de-Salers a par exemple besoin de foncier pour son prochain de centre de sécurité, d’incendie et de secours, qui servira également à des communes voisines. Car, en zone rurale, les projets multicommunaux sont courants. 

Déjà en 1977, Murol s’est allié avec des communes voisines pour monter une maternelle. Des mutualisations nécessaires face au ZAN, car « si la réserve foncière va s’amenuiser, il faudra faire preuve de pragmatisme », défend Sébastien Gouttebel. 

Quand l’obligation ZAN se confronte au littoral

 

Et les contraintes de constructibilité s’accentuent au sein des petites collectivités du littoral, déjà soumises aux prédispositions de la loi littoral de 1986, qui tend à encadrer les aménagements sur les côtes. Le texte impose ainsi de « construire en continuité avec le bâti », nous décrypte Nadine Kersaudy, maire de Cléden-Cap-Sizun, dans le Finistère (29). Or, un quart du littoral se situe en Bretagne. Le Finistère concentre 1 200 km, et Cléden-Cap-Sizun, 13,6 km de sentier côtier. 

« On a de grandes falaises, on a la baie des Trépassés, sur une très belle plage, entre la pointe du Van et la pointe du Raz, donc sur un très grand site de France, moi je ne voudrais plus qu’il ait de constructions », nous affirme sa maire. « Je vois que certaines communes littorales peuvent toujours construire. Ça parait être en extension d’urbanisation, mais certains le peuvent », témoigne l’intéressée.

Or, la loi littoral montrait quelques imprécisions et « la loi ELAN devait permettre de densifier un certain nombre de secteurs déjà urbanisés. Et il s’avère que la loi a déjà donné soin aux ScoT de définir ces secteurs dans les communes. Nous ,nous avons un ScoT à l’échelle de quatre communautés de communes, et je devais vous dire que cela a été réduit à des peaux de chagrin. Voilà aussi l’application du ZAN qui vient encore perturber le reste », nous raconte l’élue. 

Comme beaucoup de communes bretonnes, Cléden-Cap-Sizun a son centre-bourg, entouré de constellations de villages. La nouvelle obligation ZAN rend quasi-impossible l’exploitation de la réserve foncière, située en centre-bourg. « Vous faites quelques mètres plus bas, vous arrivez à la boulangerie, un peu plus bas, c’est le cabinet médical. Il faut construire en continuité avec le bâti. Donc commencer par le bas de la parcelle pour remonter », nous décrit Nadine Kersaudy. 

« On a le droit, dès lors que le seul village que l’on ait dans la commune c’est le bourg. Mais là avec le ZAN, je crois que ce ne serait plus possible », avance cependant la maire. « Je milite pour qu’il y ait une application différenciée de la loi littoral, parce que je fais partie d’une commune qui préserve, qui a préservé, puisque nous avons énormément d’espaces naturels », plaide-t-elle.

Les friches et bâtiments anciens, un gisement de foncier en zone rurale ?

 

Mais au-delà de la construction neuve, n’existe-t-il pas un autre gisement de foncier ? « Depuis que je suis élue en 1995, je n’ai pas fait construire de bâtiment neuf, je n’ai fait que réhabiliter de l’ancien », assure Nadine Kersaudy. 

En 1997, à Cléden-Cap-Sizun, « nous avons acheté le presbytère pour en faire la mairie. L’ancienne mairie a été réhabilitée pour en faire une bibliothèque. L’ancienne école publique a été transformée en un centre de sports-santé agrée. Les seuls logements que j’ai pu faire, mais en densification de bourg, ce sont 18 logements avec la société Espacil. Sinon, nous gérons aussi des logements en régie directement. Et ce sont trois logements été aménagés dans les logements d’anciens instituteurs », nous détaille l’élue. 

La commune d’Anglards-de-Salers fait aussi la part belle à la réhabilitation. « On a dans le centre-bourg plein de bâtiments anciens, qui sont désaffectés et qui mériteraient une reconversion », nous confie François Descoeur. Un ancien bistrot est donc devenu une maison d’artisan d’art, tandis qu’une vieille menuiserie a été réaménagée en habitation. 

Du côté de Murol, « on a rénové cette année un bâtiment qui est devenu un gîte. On est en train de finir deux appartements. Et cet automne, on rénove une ancienne école pour faire deux duplex. On fait à la mesure de nos moyens », nous énumère Sébastien Gouttebel. Mais la plus grande ambition du maire serait d’ouvrir un bâtiment pour loger les saisonniers dans cette commune touristique. D’ailleurs, de nombreuses friches touristiques subsistent dans les environs, plus précisément deux hôtels, vestiges de la tendance des thermes aux environs de Saint-Nectaire. 

Car les friches (industrielles, commerciales…) font l’objet d’un fonds gouvernemental pour accompagner leur réhabilitation. À l’échelle de l’AMRF, l’accent doit être quelque fois mis sur les friches agricoles. « Il y a des bâtiments agricoles qui sont obsolètes pour la profession, parce qu’ils ne sont pas aux normes, etc. Depuis, ils ont fait des bâtiments contemporains qui correspondent mieux aux besoins. Mais les anciens bâtiments peuvent être très intéressants : des vieilles granges, des vieilles étables… », défend François Descoeur. « Sur une commune à côté de la mienne, il y a un bâtiment qui vient d’être réutilisé par l’industrie cinématographique pour stocker des films. Il a fallu faire des adaptations, mais ça fait partie des exemples », cite-il. 

À l’échelle du Finistère, les friches agricoles comptent de nombreux cas de toits en amiante, nous rapporte la maire de Clément-Cap-Sizun. « S’il n’y a pas un plan d’aide ou un accompagnement des communes, elles ne vont pas d’elles-mêmes réhabiliter des friches. Et puis il faut voir si le zonage dans le document d’urbanisme le permet aussi », complète l’élue. 

Un manque de main d’oeuvre dans le bâtiment 

 

Si les idées de développement territorial ne manquent pas à l’échelle rurale, les moyens semblent avoir du mal à suivre. « De la même façon que les maires ruraux demandent depuis le début un droit au projet, on demande de créer un fonds dédié, un Plan Marshall pour la rénovation des logements vacants ruraux », revendique Sébastien Gouttebel. 

Avis partagé par son confrère d’Anglards-de-Salers. « Si on n’a pas une aide conséquente de l’État, on ne rénovera jamais. Cela devient des ruines alors qu’on risque d’avoir besoin d’habitations parce qu’on devra beaucoup moins construire », commente l’intéressé. 

François Descoeur note également une concurrence entre la rénovation et la densification des biens entre zones urbaines et rurales. À Lyon « le moindre bâtiment vide est racheté et monté de quatre étages. La raréfaction des biens font que les promoteurs se battent pour racheter et rénover. Mais dans les territoires ruraux, nos administrés ou les promoteurs, ça ne les intéresse pas de rénover du bâti ancien. Ils n’arriveraient jamais à récupérer le surcoût de la rénovation, au vu du prix moyen », précise-t-il.

À cette pénurie de promoteurs, s’ajoute une pénurie d’artisans du bâtiment. « Si vous me trouvez deux plombiers, deux plaquistes et trois électriciens, je les fais embaucher en trois minutes », nous confie M. Gouttebel, justifiant le phénomène par une inflation galopante, des projets majeurs concentrés sur les métropoles, ainsi que des carnets de commandes pleins qui obligent à décaler les chantiers. 

« Dans le monde de l’artisanat du bâtiment, on est en perte de vitesse », et ce depuis cinq ans, corrobore M. Descoeur. Il abonde : « C’est-à-dire qu’il y a de moins en moins de monde. Il y avait beaucoup de menuisiers, beaucoup de maçons, mais ils ne sont plus beaucoup maintenant ».
 

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock

Sur le même sujet

bloqueur de pub détecté sur votre navigateur

Les articles et les contenus de Batiweb sont rédigés par des journalistes et rédacteurs spécialisés. La publicité est une source de revenus essentielle pour nous permettre de vous proposer du contenu de qualité et accessible gratuitement. Merci pour votre compréhension.