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Décence énergétique du logement : quels chantiers pour le prochain quinquennat ?

Publié le 24 mars 2022

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À l’approche de l’élection présidentielle, quel bilan tire-t-on de l’amélioration de la décence énergétique des logements en France lors du dernier quinquennat ? Et quel futur réserve-t-on à cette notion abordée par tout un attirail législatif, axé sur des dispositifs d’aide à la rénovation mais aussi la lutte contre les passoires thermiques. Le point avec Jean-Marc Torrollion et Jean-Christophe Protais, respectivement présidents de la FNAIM et du syndicat Sidiane.
Décence énergétique du logement : quels chantiers pour le prochain quinquennat ? - Batiweb

Pour Jean-Marc Torrollion, président de la fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), le ministre chargé du logement lors du prochain quinquennat devra faire face à de grands chantiers : rééquilibrer la production de logements avec la suppression du zonage, conforter un parc locatif puissant, et surtout financer la rénovation énergétique. 

« Nous pensons que le prochain quinquennat sera celui du logement existant », affirme le président de la FNAIM, qui a déjà évoqué cette question lors de ses propositions pour l’élection présidentielle.

Le gouvernement actuel a d’ailleurs pris le sujet à bras le corps, avec une politique axée sur la lutte contre les passoires énergétiques, incarnée par la loi Climat et Résilience.

Sans compter le plan de relance, qui a proposé 40 milliards d’euros pour la rénovation énergétique. « C’est très bien, mais il faut que ces 40 milliards soient appliqués de manière professionnelle. Et quand on voit comment s’est déroulé le nouveau DPE, on peut s’interroger sur ce professionnalisme », commente Jean-Christophe Protais, président du Sidiane, syndicat des professionnels diagnostiqueurs, fondé fin 2021.

 

Le nouveau DPE, une méthode qui laisse à désirer ? 

 

Document obligatoire faisant état de la situation du logement à un temps T, le DPE a dû renforcer sa fiabilité via une réforme dévoilée en février 2021. Malheureusement, dès son application en juillet dernier, la nouvelle méthode de calcul a été pointée du doigt, à l’origine d’une hausse du nombre de passoires énergétiques.

De quoi faire vivre une année « compliquée » aux professionnels du diagnostic, à en croire le président du Sidiane. D’autant bien que corrigé, le problème du DPE est loin d’être réglé, car de nombreux diagnostics devaient être régénérés d’ici fin février et « cela coûte de l’argent aux entreprises, petites ou grandes », estime Jean-Christophe Protais, pour qui les 60 € d’indemnisation ne sont pas suffisants.

Selon le président du Sidiane, il est donc « urgent d’attendre que la méthode soit clairement bouclée, et qu’on n’ait pas à en re-générer une troisième, et que les conditions économiques soient raisonnables », liste-t-il. 

Du côté de la FNAIM, l’efficacité, ou plutôt l’inefficacité du nouveau DPE est à nuancer. « Nous, on a très tôt, dès le mois d’août 2021, mis en avant le fait que les DPE nouvelles formules, entrainaient une hausse anormale du classement de logements en G et en F. Il y avait effectivement des imperfections qui avaient été corrigées. Mais maintenant que c’est corrigé ce n’est pas parce que les diagnostics de performance énergétique classent plus de logements en catégorie F ou G, que le diagnostic est mauvais », nous assure Jean-Marc Torrollion. 

« Quand vous prenez votre température et que vous avez 40°C de fièvre, ce n’est pas le thermomètre qui se trompe, il y a bien 40 °C. Donc la réalité, c’est que le DPE nouvelle formule est en train de révéler une réalité du parc, qui a été sous-estimée. Il y aura plus de logements à énergie indécent. Il n’y aura pas 4,8 millions logements passoires énergétiques, mais 7 à 8 millions. Et donc à ce moment-là, il faut avoir une politique en rapport avec la masse de logement concernés », poursuit-il.

Si les désaccords fusent sur l’efficacité du DPE, la FNAIM et le Sidiane s’accordent pour dire que le calendrier fixé par la loi Climat et Résilience – dont l’interdiction de louer les passoires énergétiques étiquetées G en 2025, les F en 2028, et les E en 2034 – est difficilement applicable. Pour Jean-Marc Torrollion, il est même « intenable » et il convient de « le retarder, sous peine d’avoir une partie du parc privé locatif qui, demain, ne soit plus proposé à nos concitoyens, ce qui serait dramatique ».

Même avis pour Jean-Christophe Protais, pour qui il est impensable de sortir de l’offre « trois millions de logement insalubres, avec des gens qui vont aller dans la rue. En plus cela touche des familles défavorisés », ajoute-t-il.

Et Jean-Marc Torrollion d’évoquer une solution derrière les ambitions européennes. « La porte de sortie nous est offerte par l’Europe et est plus construite. Car l’Europe nous propose F et G en d’ici 2033. On a un calendrier qui est plus réaliste, moins ambitieux, mais qui concerne véritablement les passoires énergétiques, et aussi plus ambitieux dans son périmètre car il concerne également les mutations, et pas seulement les locations », soutient-il.

 

Cartographier l’indécence énergétique, une mission pour les collectivités ? 

 

La réforme du DPE et la loi Climat et Résilience tendent à atteindre une notion poncée par l’attirail législatif : la décence énergétique. Un décret publié le 13 janvier 2021 associait à cette décence un premier seuil maximal à 450 kWhEf/m²/an de consommation énergétique, en France métropolitaine. Si ce seuil est dépassé, les propriétaires n’auront plus la possibilité de louer ces passoires énergétiques.

« Dresser la cartographie de l’indécence énergétique se fera dans les communes, d’abord au travers du diagnostic de performance énergétique collectif des immeubles, qui serait obligatoire en 2023 pour les plus de 200 lots, en 2024 pour les 50 à 200 lots, et 2025 pour les moins de 50 lots », nous rappelle Jean-Marc Torrollion. 

Aux yeux du président de la FNAIM, cette cartographie est indispensable pour guider la politique des collectivités, par exemple dans la définition du périmètre des ravalements obligatoires. « Ce périmètre de ravalement obligatoire aujourd’hui, ne contient pas tous des obligations de rénovation énergétique. C’est une absurdité. Donc il me paraît indispensable qu’une collectivité territoriale s’approprie cette faculté-là, en cohérence avec la loi Climat et Résilience », développe-t-il. 

Il lui paraît donc primordial, lors du prochain quinquennat, d’encourager vers « une prise de conscience, de la part des élus locaux, de l’obsolescence programmée d’une partie importante du parc privé locatif et du parc privé tout court ».

« On croit en fait que la décence énergétique doit se mesurer au niveau d’une collectivité, pas forcément au niveau d’un bâtiment. Chaque immobilier a une histoire en France. Chaque région a son immobilier, il est donc très important de ramener la réflexion au niveau de la commune, de l’intercommunalité, de la PJ, par rapport à des réalités qui sont propres à chaque territoire », défend le président de la FNAIM. Sans compter les informations sur les détenteurs du bâtiment (propriétaires, bailleurs) ou même le type de logement (collectif, maison individuelle).

Une vision d’ensemble qui permet de surcroît à chaque collectivité de définir la gravité de l’indécence énergétique. « Ce n’est pas la même chose de dire que dans une collectivité territoriale, dans moins de 10 ans, 30 % du parc ne sera plus décent, que dans moins de 10 ans, 20 % ne sera plus décent », compare Jean-Marc Torrollion. 

Pour avoir un tel niveau de précision sur le patrimoine immobilier en France, encore faut-il passer par la voie de la digitalisation.

« Cela reste dans ce volet-là, un peu en retrait par rapport à d’autres professions », estime Jean-Christophe Protais. Il ajoute : « Et on se dit aujourd’hui, on la chance d’avoir des diagnostiqueurs qui sont tous les jours dans un bâtiment. Ils collectent de la donnée spécifiquement sur l’amiante, le plomb et l’électricité, mais ils pourraient effectivement collecter cette donnée, la digitaliser, et de surcroit la compléter par de la collecte de données complémentaires (un scan pour les surfaces…). Et donc constituer une base de données sur tous les bâtiments ».

Des outils non seulement utiles pour les administrations publiques, mais aussi pour les professionnels de la rénovation. « Si d’aventure on digitalise et on modélise par des outils simples un appartement, on peut imaginer qu’un artisan puisse récupérer des métrés de surface et faire un devis beaucoup plus rapidement et plus automatisé », expose notamment le président du Sidiane. 

Celui de la FNAIM, lui, se montre plus sceptique : « Regardons ce qui existe déjà avant d’aller plus loin et faisons déjà en sorte que nos diagnostiqueurs utilisent très bien les outils mis à leur disposition. Nous avons un audit énergétique obligatoire pour toutes les mutations de copropriétés au 1er septembre 2022, mutations de copropriétés classées F et G. Tous les DPE qui sont faits sont publiés par l’Ademe, sous le numéro fiscal de chaque logement, donc on va y voir clair. D’ici 2025, tous les DPE collectifs seront faits dans les immeubles en copropriété. Quand on commence déjà à aligner ça, sachant qu’on a 1,2 million de transactions par an, et deux tiers qui concernent l’individuel, on aura à mon sens très vite une photographie intéressante du parc locatif ».

D’autant que des solutions apportent une finesse d’analyse des priorités de rénovation, comme Prioréno pour les bâtiments publics.

 

Défendre l’importance du rôle du diagnostiqueur

 

Il n’empêche que le diagnostic énergétique, comme le contrôle technique du bâti dans sa totalité, n’est pas qu’une question de précision, mais aussi de régularité. 

« Aujourd’hui il existe un certain nombre de diagnostics qui sont « verticaux », donc le plomb, l’amiante, l’électricité, le gaz, le DPE, et demain l’audit énergétique. Ils sont obligatoires pour ce qui est transaction, vente, location. En revanche, pour la majorité du bâti, où il n’y a pas de changement de locataire, où il n’y a pas de changement de propriétaire, il n’existe aucun contrôle obligatoire », constate Jean-Christophe Protais.

D’où la nécessité pour le Sidiane et son président d’instaurer un système de contrôle technique, inspiré du modèle qui existe depuis 30 ans pour l’automobile. « On veut transposer ce modèle au logement, chaque propriétaire de logement, chaque exploitant de logement se doit d’avoir, tous les ans – parce qu’on pense que c’est la bonne occurrence – pour les bâtiments qui ont plus de sept ans, voire plus de 12 ans, un contrôle technique obligatoire, qui permettent d’avoir une vraie cartographie, un vrai état des lieux du bâti », détaille-t-il.

Une autre procédure qui s’ajouterait à l’application de l’audit énergétique réglementaire, document qui complète le DPE en mentionnant dans chaque annonce immobilière les travaux permettant de valoriser l’étiquette énergétique de tel ou tel logement. Chez le Sidiane, on craint une application « chaotique », à l’image de celle du nouveau DPE. Et ce bien que la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), portant justement ces problématiques de DPE et audits énergétiques, ait déjà sollicité le Sidiane sur le sujet. 

Pourtant, au-delà de la considération de la part de la délégation du Ministère de la Transition écologique, d’autres enjeux subsistent autour de ce futur audit énergétique réglementaire. Parmi ces derniers, on compte la valorisation des métiers du diagnostic, « en développement », « très créateurs d’emplois », mais aussi « de proximité », donc « pas délocalisables », nous décrit le président du Sidiane. 

« Sauf qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas que nous, mais pour nous c’est très contraignant, on a énormément de mal à recruter les compétences, que ce soit chez un indépendant avec deux-trois personnes, ou un gros acteur », déplore-t-il, en se basant sur les observations récoltées auprès des entreprises de diagnostics que cherche à réunir le Sidiane. 

Pour l’heure, une ou deux initiatives permettent la montée en compétences et la qualification des diagnostiqueurs à part entière, mais celles-ci sont « très ponctuelles ». « Il n’y a pas de moyen efficace pour apporter une formation initiale à nos diagnostiqueurs. C’est nous qui devons les former. Alors, c’est bien, c’est le rôle des entreprises. Mais ce qui serait aussi pas mal, ce serait de proposer des filières de formation universitaire, que ce soit BTS, IUT, ou licence pro… », encourage Jean-Christophe Protais. 

Autant dire que la décence énergétique est un enjeu aux multiples facettes. Et comme tout grand chantier du paysage immobilier, « tout ceci ne peut fonctionner que si on a un ministre de plein exercice », souligne Jean-Marc Torrollion. « Nous, ce que nous voulons, c’est un ministère du Logement et de l’aménagement du territoire, qui soit positionné en numéro 2 ou numéro 3 du gouvernement, avec un poids politique et une capacité de gagner ces arbitrages budgétaires », conclut-il.

 

Propos recueillis par Virginie Kroun
Photo de une : Adobe Stock
 

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