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Le prix des énergies, autre otage de la guerre entre la Russie et l'Ukraine

Publié le 10 mars 2022

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La guerre entre la Russie et l'Ukraine qui s'est déclenchée fin février se déroule sur tous les fronts : civil, militaire, politique et même économique. En témoigne la hausse des prix de l’énergie, considérablement aggravée par les conflits et représailles économiques, alors que 40 % du gaz consommé dans l’Union européenne est importé de Russie. Quel impact et quel futur pour la consommation, la souveraineté et la transition énergétique au sein de l’UE et de la France ? Réponses avec des professionnels du secteur de l’énergie.
Le prix des énergies, autre otage de la guerre entre la Russie et l'Ukraine - Batiweb

Deux semaines après l’invasion russe, la guerre en Ukraine est sur toutes les lèvres et impacte le monde entier. Bien que la Turquie accueille ce jeudi un premier face-à-face entre ministres russe et ukrainien des Affaires étrangères, les offensives se poursuivent, entre l’attaque d’un hôpital pour enfants à Marioupol et la déconnection de la centrale de Tchernobyl du réseau électrique.

D'un point de vue économique, ce conflit a notamment un impact sur le secteur des énergies, sachant que, selon Eurostat, 40 % du gaz et 25 % des hydrocarbures consommés dans l’Union européenne proviennent de la Russie.
 

De l’huile sur le feu inflationniste


Ce n’est pas un secret : l’inflation des prix de l’énergie, gaz comme électricité, a pointé le bout de son nez dès septembre dernier et continue de bon train cet hiver. Parmi les premiers facteurs à l’origine de cette tendance, on compte la reprise économique post-Covid, vorace en énergie, pour des stocks de gaz en Europe historiquement bas.
 
« La France fait figure d'exception en Europe, le prix de l'électricité pour les particuliers ayant augmenté de plus de 50 % cet hiver en Espagne ou en Italie par exemple », constate Sylvain Le Falher, président du conseiller en énergie Hello Watt.

« La hausse du prix de l'électricité a été limitée en France à 4 % TTC en raison d’une forte baisse des taxes et d’une augmentation des volumes ARENH (issus du parc nucléaire historique) dans le calcul des tarifs de l'électricité pour réduire son exposition aux prix de marché. Sans ces mesures, la hausse aurait été de 35 % TTC », nous détaille l’intéressé. 

Il poursuit : « La guerre en Ukraine va accentuer la hausse des prix sur les marchés de l’énergie : l'approvisionnement en gaz russe n’est plus fiable, ce qui entraîne une hausse de son prix et du prix de l'électricité sur le marché européen, d’une façon similaire à ce que nous avons vu ces derniers mois ».

« Dimitri Medvedev, ex-président Russe, avait prédit le 22 février un doublement des prix du gaz lors de l’annonce de l’arrêt du projet Nord Stream 2 [projet de gazoduc reliant l’Allemagne à la Russie, NDLR]. Cette prédiction s’est malheureusement avérée exacte en moins de 10 jours », corrobore Stéphane Sorin. Malgré les tensions, le directeur général de Collectif Energie estime qu’il est « compliqué de prédire de façon honnête et précise quelle sera la hausse du prix des énergies en France à court et moyen terme ».

Des particuliers aux entreprises, la sonnette d’alarme est tirée

 

Une chose est sûre : le conflit Russie-Ukraine pourrait bien endiguer l’approvisionnement en gaz sur toute l'Europe. 

« Le vrai problème, ce serait le remplissage des stockages au printemps et à l'été, en préparation de l'hiver 2022-2023 », expliquait ce dimanche aux Echos Catherine MacGregor, directrice générale du groupe Engie, qui dépend à 20 % de gaz russe. Bien que les stocks sont au beau fixe pour cette fin d’hiver, pour le suivant, « il serait très difficile de trouver les volumes nécessaires et ce serait très dur en cas de conflit long en Ukraine », craint-elle, tout envisageant une baisse de consommation, tant chez les particuliers que chez les industriels. 

Industriels, mais aussi restaurateurs, hôteliers et autres entreprises frappées par cette flambée des prix de l’énergie, à en croire Stéphane Sorin. « Nous avons croisé certains exemples de prospects, dans la restauration par exemple, qui n’avaient pas anticipé leur achat d’énergie, et qui ont vu leur facture passer de 10 000 € à 40 000 € », nous raconte le directeur général de Collectif Énergie.

Il poursuit : « Les dirigeants changent de position sur les achats d’énergie. C’est devenu un poste d’achat stratégique. Là où, dans la majorité des cas, nos interlocuteurs étaient des directeurs achat ou directeurs techniques, nous rencontrons désormais de plus en plus de directeurs financiers ou directeurs généraux qui suivent de près leurs achats d’énergie ».

Sa recommandation pour les entreprises ? L’achat groupé par profil énergétique similaire, qui permet de peser davantage dans la négociation des prix, plus de confort dans la gestion de la stratégie d’achats assurée par une équipe d’experts, amenuisant ainsi le risque d’erreurs. 

Côté particuliers, le gouvernement a annoncé ce lundi une dépense de 22 milliards d'euros en mesure de soutien au pouvoir d'achat. Selon les estimations du ministre de l'Économie Bruno Le Maire, le gel des prix du gaz nécessitera environ « 10 milliards d'euros sur l'intégralité de l'année 2022 », contre 1,2 milliard d'euros prévu jusqu'aujourd'hui.

Toutefois, « on ne répond pas à un tournant géopolitique majeur uniquement en versant un chèque ici ou là », précisait-il. « Nous apporterons une réponse à tous les Français les plus touchés par la crise (...) des réponses ciblées sur ceux qui en ont le plus besoin ». 

« Le gouvernement est conscient qu’il y a une réforme de fond à mener. Il a choisi pour l’instant de mettre une rustine en proposant le bouclier tarifaire. Il faudra une réforme de fond du marché de l’électricité en France si nous souhaitons voir les prix de marché baisser », abonde à son tour Stéphane Sorin. 

La souveraineté énergétique encouragée au sein de l’UE

 

Est-ce qu’un renforcement de l’indépendance énergétique de la France, voire de l’Union européenne vis-à-vis du gaz russe fait parties des « réponses » évoquées par Bruno Le Maire ?

C’est en tout cas une voie encouragée par les États-Unis, les sénateurs ayant présenté, jeudi 3 mars, un projet de loi visant à interdire ces importations. L’UE quant à elle, joue la carte de la prudence, avec des propositions de solutions visant à amortir la flambée des prix énergétiques et diversifier ses sources d'approvisionnement en gaz. Remis à la Commission européenne ce mardi, ce plan sera discuté par les chefs d'État et de gouvernement des 27 états-membres, réunis jeudi et vendredi à Versailles.

L’objectif ? Se détacher du gaz russe et atteindre un niveau moyen de stockage européen d'au moins 80 % d'ici fin septembre. Et les pistes envisagées sont nombreuses : aides directes, abattements fiscaux, suppression de la TVA. Une autre solution consisterait à taxer les bénéfices des entreprises énergétiques générés par la flambée des cours afin de les redistribuer, tout en évitant une « distorsion inutile du marché », précise Bruxelles.

Pour ce qui est de la diversification des moyens d’approvisionnement énergétique, l’UE veut accélérer le développement des énergies renouvelables et de l'hydrogène. Elle tient d’un autre côté à varier ses gaziers, notamment par une nouvelle coordination avec les pays producteurs (États-Unis, Qatar...) et de transit (Japon, Égypte, Azerbaïdjan, Turquie...), et le transport des cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL).

Cette stratégie rejoint par ailleurs l’avis de Yannick Jadot. Le candidat EELV soutenait ce mardi, sur le plateau de France24/RFI, la mise en place d'un « acheteur européen unique » pour fournir l'Europe en gaz tout en défendant « un grand plan de sobriété, d'élargissement de nos fournisseurs d'énergie, d'investissement massif en déployant très vite toutes les énergies renouvelables ».

Gaz ou pas gaz ?

 

La voie de la transition énergétique parait donc aussi inévitable qu’urgente, en particulier pour Sylvain Falher. Selon le président d’Hello Watt, l’importation d’énergies fossiles n’est plus un modèle viable, tant sur l’indépendance énergétique, la réduction des émissions carbone, que sur le maintien du montant des factures. 

« Les objectifs de transition énergétique, de souveraineté et de préservation du pouvoir d’achat des ménages sont aujourd’hui alignés. Développer les énergies renouvelables, investir massivement dans la rénovation énergétique des logements et développer la production décentralisée permettent de remplir ce triple objectif », affirme-t-il, en précisant que cela accompagne le développement d'emplois non délocalisables. 

D’autant que les moyens conseillés par Hello Watt aux particuliers sont divers : recours au gaz vert, régulation de la consommation énergétique grâce à l'application de données connectée aux compteurs Linky et Gazpar, travaux d’isolation (combles, murs, planchers, fenêtres), système de chauffage moins énergivore, ou autoconsommation via les panneaux solaires.

Si l’enthousiasme pour le renouvelable et la rénovation est présent chez certains, il est plus modéré chez d’autres, comme Stéphane Sorin. « Il faut changer tout notre système pour envisager une réelle indépendance énergétique : remplacer tous les chauffages au gaz par des pompes à chaleur, transformer les fonderies... cela ne se fera pas du jour au lendemain », commente le directeur général du Collectif Énergies.

Pour l’heure « un mix énergétique incluant le nucléaire reste donc notre meilleure option à court et moyen terme. Dans le même temps, nous devons développer drastiquement les énergies renouvelables pour que sur du plus long terme, nous puissions renforcer notre indépendance, et c’est une très bonne nouvelle pour l’environnement », développe-t-il.

Toutefois, il rappelle que le « gaz nous est nécessaire à la fois pour créer de l’électricité et pour nous chauffer. Nous sommes, en Europe, également dépendant du pétrole et du charbon pour l’industrie notamment. Donc même si nous développons très fort le nucléaire, l’hydraulique, le biogaz etc. nous diminuerons notre dépendance sans la supprimer totalement. Une dépendance au gaz russe serait seulement remplacée par une dépendance au gaz américain ».

 

Et les entreprises du BTP dans tout ça ?
 

S’il y a bien un point sur lequel Sylvain Le Falher et Stéphanie Sorin tombent d’accord, c’est l’impact qu’aura l’inflation du prix des énergies sur la production de matières premières, malgré une embellie espérée par l'AIMCC en janvier.

« L’artisanat du BTP subit et va subir la hausse du coût des matières premières qui est répercutée directement sur celui des chantiers. Je pense que la profession en est déjà bien consciente et adapte déjà sa stratégie d’achat de matériaux en conséquence. Celle-ci réserve par exemple leurs matériaux en avance car ils savent tous que les prix à venir ne vont pas baisser », constate, inquiet, le directeur général de Collectif Énergie. 

De son côté, le président d’Hello Watt prédit qu’à « moyen terme, les très fortes hausses à venir du prix de l'énergie pour les particuliers vont renforcer la demande pour des solutions de rénovation énergétique et d'autoconsommation ». En témoigne le nombre de demandes d’installations solaires par les particuliers auprès de l’entreprise, qui a doublé depuis le début de l’inflation en octobre et devrait se maintenir. 

Seul ombre au tableau : la revue à la baisse des objectifs assignés aux CEE pour la cinquième période. « D’autre part, les pouvoirs publics sont en train de revoir à la baisse l’ensemble des montants d’aides par chantier, ce qui augmente significativement le reste à charge payé par les particuliers. Tout cela est en contradiction complète avec les objectifs ambitieux de la stratégie nationale bas carbone » déplore Sylvain le Falher.

Si face à cette inflation, l’inquiétude plane, d’autres acteurs secteurs de l’énergie, comme la Fédération Française des Combustibles, Carburants et Chauffage (FF3C), appellent à la modération. Les distributeurs recommandent une limitation dans le remplissage des stocks utilisateurs, « pour passer le cap des délais de réapprovisionnement en substitution de la ressource russe ».

Cela vaut aussi bien pour le gazole vrac à destination des transporteurs et le GNR utilisé dans l’agriculture et le BTP. Un plafonnement des commandes est également recommandé pour le fioul de chauffage, bien que la voie du biofoul soit soutenue par la fédération.

« Malgré l’incertitude prévalant aujourd’hui sur les conséquences de la situation en Ukraine, les événements du passé enseignent que ces prix devenus exorbitants en raison des incertitudes géopolitiques et de la recherche de nouvelles routes d’approvisionnements, finiront par retrouver, comme lors de précédentes crises, des niveaux normaux. Il est donc imprudent d’acheter par précaution des produits subissant actuellement une pression de marché aussi exceptionnelle », explique Frédéric Plan, délégué général de la FF3C.
 

Il n’empêche qu’en parallèle, la profession demande aux pouvoirs publics, « l’adoption urgente de mesures gouvernementales visant à éviter un effet en cascade de la crise sur les activités économiques des entreprises de la profession, et une charge trop importante pour les consommateurs, en nécessité de se réapprovisionner en fioul de chauffage pour finir l’hiver ».
 

Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock

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