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En région montagneuse, l’architecture bioclimatique se réinvente

Publié le 26 mai 2025

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Comme toute architecture vernaculaire, les constructions en montagne ont leurs spécificités ancestrales, voire régionales. Un savoir-faire qui se réinvente face au réchauffement climatique. Le point avec deux architectes.
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Entre ses chalets en bois et ses constructions minérales, la montagne est une vitrine du pragmatisme et de l’intelligence des anciens bâtisseurs. 

Car ces structures « ont un lien étroit avec des conditions climatiques très fortes. Cela inclut des questions d'orientation, de vent, de compacité, de ressources qu'on a à portée de main », résume l’architecte Magdeleine Lounis, dont l’agence est établie à Saint-Saturnin, au sud de Clermont-Ferrand
 

Considérer le confort thermique

 

Abordons déjà l’un des points cardinaux de l’architecture bioclimatique en montagne : le confort thermique

Cette notion peut varier selon l’altitude. Sonia Doucerain, co-fondatrice de l’agence grenobloise Brenas Doucerain Architectes, explique : « À partir de 1000 mètres d'altitude, le confort d'été n’est pas un sujet, parce que les nuits sont fraîches (17/18°C) - et c'est facile de ventiler un bâtiment en ayant des principes d'architecture passive la nuit pour décharger un bâtiment, qui monte à 30-32°C la journée ». 

Ce qui n’est pas forcément le cas dans le fonds des vallées alpines, comme à la Maurienne. Cette ancienne zone industrielle et de transit présente des conditions de vie rudes. En hiver, les hauts massifs bloquent le soleil et l’effet de cuvette favorise les fortes chaleurs en été.

« L’enjeu va être de tirer parti de la question des vents, qui ne seront plus une contrainte mais une nécessité pour amener de la fraîcheur dans les bâtiments », complète Magdeleine Lounis. 

« L'approche bioclimatique nécessite aussi de tirer parti de la question du rayonnement solaire, en hiver ou en intersaison. En fonction de la pente et de l'orientation du bâtiment, des façades de bâtiments vont pouvoir récupérer du rayonnement solaire, même quand il fait très froid, et de choisir des matériaux avec une forte inertie pour favoriser le déphasage thermique. La compacité de la construction permet également de limiter les déperditions thermiques », explique l’architecte auvergnate.

Parer le bâti face aux intempéries 

 

Sans compter le travail d’implantation selon l’altitude et le niveau d’enneigement. Mais selon les régions, la configuration du bâti peut varier.

Magdeleine Lounis fait un parallèle entre l’architecture vernaculaire suisse et dans le Sancy. Dans le pays transalpin, « nous retrouvons, des "drakkars" »  construits en madriers bois, surélevés du sol par un soubassement pierre ou bois, afin de se protéger de la neige ou des vents dominants. Le pignon est parallèle aux courbes topographiques ».

« Dans le Sancy, les "burons" sont bâtis en pierre, tandis que le pignon arrière est adossé voir encastré dans la pente. Compacte, il recherche l’inertie », compare l'architecte. 

Pour la rénovation d’une grange auvergnate, Magdeleine Lounis a dû composer avec des volumes parallélépipédiques et des pignons peu ouverts «  car plutôt orientés aux vents dominants ouest ». « On recherchait le double accès aux deux niveaux en tirant parti de la pente, de la ventilation de la fenière [espace de stockage du foin sous comble] et la conservation de la chaleur animale en de rez-de-chaussée », nous expose l’architecte auvergnate. Les « coyaux » ont été remplacés par des cheneaux ou réinterprétés de manière contemporaine par des prolongements de toit, afin d’éjecter plus loin les eaux de pluie et éviter l’humidité au pied de mur

Rappelons qu’entre les orages et grosses fontes de neige, les inondations et débordements d’eau sont une problématique en zone montagneuse. C’est d’ailleurs l’un des enjeux derrière la rénovation du centre nordique à la station de la Féclaz, en Savoie

« On s'est vraiment inspiré de l'architecture vernaculaire des fermes de montagne dans les Bauges, c’est-à-dire une grande toiture débordante et qui protège les façades, des éléments de bois pour porter les passées de toiture de 2-2,5 mètres. La passée de toiture projette et détermine un cheminement minéral tout autour pour avoir les pieds au sec. Ce qui nous semblait aussi important, c'était un sous-bassement massif, avec un double mur en béton et pierre à l'extérieur, d'une carrière à 15 km », nous décrit Sonia Doucerain.

Biosourcé ou géosourcé ? 

 

Nous voilà donc à la pierre angulaire de l’architecture en montagne, voire bioclimatique au sens large : l’utilisation de ressources à proximité. Une logique ancestrale, mais « le monde du BTP a changé toute cette pensée de la construction, puisqu'on a importé plein de matériaux. Maintenant, on y revient », observe Sonia Doucerain. 

L’architecte grenobloise cite le massif de la Chartreuse, où le recours à des bois labellisés fait sens. Cependant, face au réchauffement climatique, les maladies attaquent les bois et gâchent leurs propriétés. Autre problématique : les matériaux biosourcés ont dû mal à entrer dans les normes, notamment à travers les fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Ces dernières certifient la performance et l’impact carbone des produits.

« Il y a 15 ans, les matériaux bois des Alpes n’avaient pas de fiches FDES pour montrer leur performance, tandis qu’une fiche sur le béton si. Il faut un peu de temps pour que la règle cultive, donne le ton », se rappelle Sonia Doucerain.

Mais faible impact carbone ne signifie pas pour autant forte inertie, essentielle pour le confort thermique évoqué plus haut. « C’est vrai que dans l’image d’Épinal, on imagine avoir des bâtis de haute montagne, le chalet, etc. Certes, construire tout bois aujourd'hui, nous permet d’atteindre l’objectif d’un bilan carbone, mais en termes de confort, ce n'est pas forcément la solution, sauf si on la combine justement avec d’autres matériaux à forte inertie afin d’obtenir un bon déphasage thermique », avance Magdeleine Lounis. L’architecte du Puy-de-Dôme loue par exemple l’intérêt de la construction minérale ou en pisé. 

 

Accompagner les jeunes générations d’architectes

 

Une chose est sûre, les jeunes générations d’architectes sont sensibilisées à la question. En témoignent nos deux architectes, qui enseignent en école d’architecture.

« Les étudiants sont globalement tous très sensibilisés au changement climatique, à la nécessité de faire attention au bioclimatisme. La plupart ne veulent plus construire du neuf, mais construire sur ce qui existe déjà. C’est à nous, enseignants, d’impulser tout ça, d’être capable de se remettre en question, parce que ceux de ma génération n’ont pas été formés de cette façon-là », rapporte Sonia Doucerain, qui coordonne le master Montagne Architecture Paysage à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble

« Ce qui m'anime tant en tant qu'enseignante que dans ma pratique, c'est justement d'arriver à amener les étudiants à concevoir des projets ancrés et qui ne pourraient pas être déplaçables d'un endroit à un autre, et qui réinterprète de manière contemporaine et frugale le bâti vernaculaire, en lien avec un milieu et des ressources matérielles et immatérielles locales », nous confie Magdeleine Lounis. 
 
À travers les ateliers qu’elle anime à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont-Ferrand, l’architecte accompagne les étudiants dans leurs recherches et prospectives, en partenariat avec des élus locaux

Extrait du projet d’Anouk Lelou, étudiante en M2 Éco-conception des Territoires et des Espaces Habités à l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont-Ferrand
Extrait du projet d’Anouk Lelou, étudiante en M2 Éco-conception des Territoires et des Espaces Habités à l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont-Ferrand


 
Ce qui peut créer des surprises chez ces derniers, qui ont « une vision peut-être réduite du rôle de l'architecte. Ils voient un professionnel qui ne réfléchit que sur le bâtiment, sans avoir une réflexion à l'échelle paysagère, urbaine, voire de la ressource. Cette capacité à travailler à différentes échelles est une découverte pour eux », souligne Mme Lounis. 


Extrait du projet de Polina Karpovych, étudiante en M2 Éco-conception des Territoires et des Espaces Habités à l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont-Ferrand
Extrait du projet de Polina Karpovych, étudiante en M2 Éco-conception des Territoires et des Espaces Habités à l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont-Ferrand

 

Sensibiliser les élus à la rénovation de l’existant


 

Par ailleurs, « on sait construire un bâtiment avec une enveloppe hyper performante, une production d'énergie en partie renouvelable, presque même à 100 %. La difficulté, c'est tout le patrimoine bâti qui existe », souligne Sonia Doucerain. « Les investisseurs se détournent des bâtiments existants et construisent du neuf, parce que c'est plus facile », ajoute-t-elle.

Or, « les collectivités publiques s'intéressent à leur patrimoine bâti. Avec l’obligation ZAN, il y a une prise de conscience pour construire sur l'existant pour être plus écologiques, plus vertueux », analyse l’architecte auvergnate. 

Elle constate toutefois un dilemme parmi les maires, entre davantage construire à des fins touristiques – dont dépend l’économie des régions montagneuses – ou rénover pour lutter contre les lits froids et loger décemment les habitants permanents.

Le territoire montagnard est « très convoité, il y a une pression foncière toujours très grande. Et en même temps, il y a des tas de sites qui sont en déshérence, qui sont paupérisés ».

Propos recueillis par Virginie Kroun

Photo de Une : Projet d’habitat de l'Atelier d’architecture de Magdeleine Lounis

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