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Matériaux biosourcés : qu’en pensent les architectes ?

Publié le 25 novembre 2024

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Faisant partie des enjeux de la transition écologique, le bâtiment est aussi concerné par l’empreinte environnementale des matériaux de construction. Ces derniers constituent un défi pour la conception ou la rénovation. La palme d’or est décernée aux matériaux biosourcés, véritables leviers vers une faible empreinte carbone. Permettant de réduire significativement l’impact environnemental des réalisations, ces matériaux dévoilent également de multiples atouts. Qu’en pensent les architectes et les professionnels du bâtiment ? Un tour de France des diverses utilisations et d’applications.
Matériaux biosourcés : qu’en pensent les architectes ? - Batiweb

La France est précurseur dans le domaine de l’utilisation des matériaux biosourcés. En effet, les initiatives publiques sont nombreuses et les architectes prennent à cœur leur mission d’intérêt public. En attendant la probable industrialisation de la filière, chaque professionnel qui considère que la compétitivité des matériaux biosourcés ne fait plus débat par rapport à leurs bénéfices, met tout en œuvre pour s’en servir. 


Les architectes de l’agence Guinée*Potin (Anne-Flore Guinée et Hervé Potin) portent depuis longtemps attention à l’environnement et au contexte d’un projet en prenant en compte les implantations adéquates, les orientations adaptées, les usages, et proposent si possible une forme de compacité, sans oublier les principes structurels et les concepts d’enveloppe, qui, selon le duo : « doivent à présent être "frugaux" et le plus "bas carbone" possible ». 


De son côté, Loïc Daubas, l’un des deux associés fondateurs de l’Atelier Belenfant Daubas architectes, explique : « La question dépasse celle du bas carbone. Il y a une forme de réconciliation avec l’architecture et la société. Le 20ème siècle, en partie, a généré une fracture, l’architecture a parlé à elle-même, en tant qu’objet, que photo, qu’image, mais s’est éloignée des usagers. C’est pourquoi nous trouvons parfois des architectures non vivables élevées comme icônes de l’architecture moderne ! Aujourd’hui, avec les matériaux biosourcés on trouve des passerelles entre l’usager et l’architecte, on réinvente une écriture, une manière de faire, la passerelle est plus forte et comprise. Les gens la comprennent car ils la ressentent dans leur corps. On n’est plus dans une discipline savante mais une discipline de la solution. Cela se rapproche un peu plus de la politique car on s’inscrit dans un enjeu de société. De ce fait, les écoles construites récemment sont les sujets qui portent le mieux ce message. Depuis une dizaine d’années, de nombreux architectes sont en train de constituer un corpus architectural qui est le reflet de ces enjeux ».

Couverture en bardeaux de chataignier. Transformation des anciennes maisons des maitres des forges en médiathèque (réhabilitation et extension)

Atelier Belenfant Daubas et Hélène Houpert architectes
Crédit photo : Atelier Belenfant Daubas 


Matériaux biosourcés, avantages et inconvénients


Omniprésents dans l’architecture vernaculaire, les matériaux biosourcés ont été délaissés par la construction moderne pour des raisons diverses, dont l’industrialisation et la normalisation. Pourtant, ces matériaux qui peuvent être employés aussi bien pour l’enveloppe que pour la structure des bâtiments, ou encore comme isolants, possèdent de multiples atouts comme la disponibilité, la performance thermique, hygrométrique et acoustique ainsi que le coût. Tout un panel de qualités qui assurent le confort des usagers. Le bois étant le matériau biosourcé le plus familier en construction. Ses avantages sont nombreux car il est facile de trouver des artisans, contrairement à d’autres matériaux comme la terre crue, moins utilisée de nos jours. Citons également la paille, abondamment présente et au coût modéré, qui fait son retour dans les constructions, ou encore le chanvre, dont la France est le premier producteur mondial, à l’inverse du liège, qui reste très coûteux car importé. Concernant l’isolation, d’autres matériaux comme la ouate de cellulose, le textile recyclé ou encore la laine de mouton s’ajoutent à ce palmarès qui ne cesse d’innover. Le dernier sur la liste, c’est la paille de lavande, un matériau naturel facile à trouver. Il s’agit donc d’une multitude de matériaux aux divers savoir-faire, nécessitant des précautions particulières ainsi que des formations de mise en œuvre qu’il faut encourager afin d’assurer une utilisation optimale.


Selon Loïc Daubas, l’un des principaux avantages est l’usage des matériaux qui procurent une symbiose avec l’usager. L’architecte admet qu’aujourd’hui, les professionnels ne savent pas tout sur les matériaux biosourcés, comme par exemple tout ce qui concerne la qualité de l’air, l’interaction entre la matière et l’air, l’hygrométrie. On suspecte même un lien avec les bactéries, car il s’agit de matières vivantes. Loïc Daubas donne l’exemple de la thèse de Martha Miranda sur la terre crue, où l’architecte, après avoir présenté les analyses quantitatives, a poursuivi en faisant une analyse du ressenti des gens à l’intérieur de chaque espace. Il existe en effet une différence de comportements des personnes selon chaque espace, chaque matière utilisée, mais on ignore la cause. Loïc Daubas poursuit son argumentaire en tant que prescripteur pour avertir qu’il s’agit de « notre planète ». « On consomme 2,5 fois des ressources de la terre par an, il va falloir être très économe sur les matériaux non renouvelables comme l’acier, le sable ou le calcaire. Qu’on les utilise là où ils sont pertinents et qu’on puisse employer des matériaux renouvelables pour les générations futures ».


Et tout ce qui concerne les inconvénients ? « Des freins, il n’y en a pas sinon que ça change le paradigme, il faut accepter que ça change, on ne peut pas remplacer un matériau polluant par un biosourcé. Il faudrait utiliser les ressources déjà mobilisées, dans des bâtiments déjà existants. En cumulant le réemploi, la déconstruction, on va pourvoir combler notre capacité d’habiter ». L’architecte souligne que dans ce changement de paradigme, il faudrait stopper la notion de massification car le foncier de construction devient de plus en plus rare et la loi ZAN ne laisse plus le choix. L’associé de l’Atelier Belenfant Daubas recommande la massification de l’intelligence, d’autant plus qu’aujourd’hui, la construction est très chère. Le biosourcé intéresse l’ensemble de la profession, qui espère qu’il arrivera à un niveau accepté par les assurances. Le chemin est ardu car il existe encore certaines incompatibilités avec les normes sismiques ainsi qu’avec les règles incendies, qu’il va falloir améliorer.

École publique à Saint-Pabu - Guinée*Potin 
Crédit photo : Stéphane Chalmeau


Quel stratagème pour un meilleur résultat ?


La diversité des matériaux biosourcés et leur utilisation dans la construction encourage les professionnels du bâtiment à leur mise en œuvre, même si la dissemblance de ces matériaux conduit à des performances hétérogènes. Selon certains architectes, il est préférable d’associer plusieurs matières au sein d’une même construction. Une méthode qui peut engendrer les meilleurs résultats. «Nous privilégions, depuis de nombreuses années, des solutions de mise en œuvre mixtes, alliant le béton et le bois, la paille, les isolants en chanvre, ou fibres de bois, des matériaux si possibles biosourcés et géosourcés. Le bois, le chaume, les troncs d’arbres, les motifs et couleurs, sont nos outils. Aussi, nous sommes attentifs à ces démarches vertueuses et les intégrons dès le début des études, en lien étroit avec les bureaux d’études avec qui nous avons des habitudes de travail communes, et qui apportent des données chiffrées, sur les consommations énergétiques comme sur le confort des espaces », soulignent les architectes de l’agence Guinée*Potin.

Tandis que Loïc Daubas précise : « On n’a aucun intérêt à avoir une exclusivité pour une filière », donc, le bon matériau au bon endroit serait la meilleure solution. « On va chercher de la performance à l’isolation thermique mais aussi de l’inertie. Il nous faudrait deux matériaux différents. C’est pour cette raison que l’on a une écriture qui se renouvelle. On exploite les matériaux pour leur qualité et non pas pour leur esthétique ». L’architecte utilise ainsi la palette de matériaux à disposition comme le bois, la pierre, la terre, la paille, pour inscrire le bâtiment dans son territoire. « Un sol en dallage ou parquet, des murs avec de la terre crue en bardage bois, c’est une richesse qui a du sens. Ce n’est pas du rajout ». Par ailleurs l’architecte précise que certaines nouvelles filières se mettent en place comme celle des algues par exemple. En effet, en Bretagne, la filière des matériaux biosourcés a regroupé tous les acteurs des filières bas carbone comme le bois, la pierre, le recyclé, et même les algues. Le biosourcé est en plein renouvellement. Mieux encore, il est en croissance.

Isolation terre et chanvre banchée sur murs en pierre existant. Transformation des anciennes maisons des maitres des forges en médiathèque (réhabilitation et extension)

Atelier Belenfant Daubas et Hélène Houpert architectes
Crédit photo : Atelier Belenfant Daubas


Matériaux biosourcés, vers un esthétisme d’un nouveau genre ?


L’implication des architectes et le nombre des réalisations ayant recours à des matériaux biosourcés témoignent incontestablement du potentiel de ces derniers. Mais est-ce que les matériaux biosourcés freinent l’esthétisme ? Anne-Flore Guinée et Hervé Potin réagissent à ces questionnements : « Le défi environnemental ne nous empêche pas, pour autant, de promouvoir des valeurs esthétiques et émotionnelles, au travers des matériaux bruts que nous employions. Une forme de douceur et de poids avec le chaume, un aspect velouté et un toucher de craie avec la pierre naturelle de tuffeau, l’incroyable puissance tactile du bois. Ces mises en œuvre avec des matériaux bruts "qualitatifs" exigent une vigilance tout au long des études et du chantier. Le défi environnemental et la nécessité d’un changement radical de paradigme ne doivent pas nous empêcher de véhiculer des valeurs esthétiques et émotionnelles : une architecture écologique ne doit pas être nécessairement moche ! ».

Logements écoquartier Saint-Denis - Petitdidierprioux architectes
Crédit photo : Sergio Grazia


Quelques exemples de réalisations


À Saint-Pabu, dans le Finistère, les architectes de l’agence Guinée*Potin – inspirés par les granges agricoles – ont réalisé une école publique au bilan énergétique exemplaire, qui a recours à l’utilisation de matériaux biosourcés comme le bois en structure (ossatures et charpente) ainsi que le chaume pour l’un des pans des toitures, et le pin douglas pour la façade. L’isolation de l’enveloppe et celle des toitures couvertes de bacs d’acier se caractérise par ses 30 centimètres de laine de bois et d’ouate de cellulose. En intérieur, les panneaux d’OSB verni et les dalles acoustiques de fibre de bois d’épicéa au plafond complètent l’arsenal des matériaux naturels mis en œuvre par des artisans locaux. Un projet remarquable qui restera dans les annales.


Au sein de l’écoquartier fluvial de l’île-Saint-Denis, l’agence Petitdidierprioux architectes (Cédric Petitdidier et Vincent Prioux) a coordonné le macro-lot PB qui se caractérise par la plus grande diversité de typologies. Par ailleurs, les bâtiments dessinés par les architectes pour le lot PB8 sont réalisés avec des matériaux biosourcés et une structure majoritairement composée de bois. Ils bénéficient également d’une trame structurelle régulière, permettant leur adaptabilité et leur réversibilité, notamment lors de la phase « Héritage » qui a suivi les JO de 2024.


Atelier Belenfant Daubas et Hélène Houpert architectes ont mis leurs connaissances au diapason pour un projet de grande envergure. Il s’agit de la transformation des anciennes maisons des maîtres de forges en médiathèque (réhabilitation et extension), où les architectes fidèles à leur réputation et en conformité avec leurs idées utilisent une isolation terre et chanvre banchée sur les murs en pierre existants, ainsi que des bardeaux de châtaignier en couverture et bardage vertical. Un projet qui met en application le savoir-faire des artisans tout en optant pour les filières biosourcées.


Si de nombreux architectes ont recours aux matériaux biosourcés en France métropolitaine, ce n’est pas le cas de la Guyane, où se trouve la plus grande forêt de France, mais où les professionnels ne peuvent pas utiliser la ressource locale. Les bois d’Amazonie n’ont pas été répertoriés dans les classements français, c’est pour cette raison que la construction en Guyane est principalement en béton et sans isolation. À la Réunion, où beaucoup de matériaux sont importés, même son de cloche. Hubert Philouze, le directeur de l’agence d’architecture Les Architectes de l’Éperon, souligne que malgré les problématiques actuelles et la main d’œuvre qualifiée qui se fait rare, il existe plusieurs filières à développer comme le vétiver, une plante biosourcée locale, ou encore l’huile végétale utilisée par l’agence dans le processus du démoulage du béton pour les banches et les coffrages. Des astuces qui demandent non seulement de la volonté, mais également le bon savoir-faire et la bonne manière d’appliquer. « Si nous apprenons à construire avec des matériaux locaux, nous avons un avenir », a déclaré un jour Francis Kéré. Cet avenir est en train de se construire !

 

> Consulter le dossier spécial Matériaux Biosourcés


Sipane Hoh
Photo de une : ©Stéphane Chalmeau - École publique à Saint-Pabu - Guinée*Potin 

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