Entre désobéissance et succès, le bilan contrasté de la loi SRU après 25 ans
Publié le 24 novembre 2025, mis à jour le 24 novembre 2025 à 12h31, par Raphaël Barrou

En matière de respect de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU), c’est LA ville exemplaire à en croire les rapports annuels de la Fondation pour le logement. Et pourtant, même à Montpellier, « pour une attribution de logement social, on laisse huit ou neuf personnes sur le carreau », regrette Michel Calvo, adjoint au maire délégué sur les Affaires sociales, la solidarité ainsi que la cohésion sociale.
Adoptée en 2000 pour imposer un quota de 20 à 25 % de logements sociaux sur les résidences principales, la loi SRU n’est respectée que par un tiers des communes qu’elle concerne. En France, 25 ans après ce texte, la production de logement social reste très en retard sur la demande.
En 2024, pour 2,8 millions de demandes, 385 000 attributionsde logement ont été effectuées. En moyenne, un demandeur sur sept obtient donc un logement social. En atteignant depuis peu les 25 % de logements sociaux, soit le taux recommandé par la loi SRU, Montpellier fait figure de bon élève.
À Montpellier, les 25 % de logements sociaux ne sont qu'une étape
Selon M. Calvo, le succès de Montpellier dans sa volonté de construire du logement social s’explique par son appétit pour les zones d'aménagement concerté (ZAC). « On vend des lots à la promotion privée, aux bailleurs sociaux… Et il y a des équipements collectifs qui, pour une partie, sont pris en charge par le développement de la ZAC. Par exemple, toutes les constructions viennent aider la ville à la construction d'une école. Finalement, une partie de la construction est prise en charge par la promotion privée parce qu'ils ont participé à l'équipement public de la ZAC. »
Un fonctionnement qui permet selon lui de gagner du temps et d’éviter les blocages. « Dans les ZAC, on fait tout sortir en même temps. Cela évite d’avoir des recours contre un foyer de jeunes travailleurs, un Centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada) ou des réticences au logement social. »
Dans les ZAC montpelliéraines, la barre des 30 % de logements sociaux est atteinte. Ainsi, pour Michel Calvo, il faut aller encore plus loin que la loi SRU à l’échelle de sa ville : « Cette année, nous allons faire 600 nouveaux logements sociaux. En 2027 et en 2028, nous serons à 800 par an. Avec cela, nous serons plutôt sur une courbe de 27 % de logements sociaux fin 2028 sur Montpellier ».
Jusqu'à 7 ans d'attente pour un logement social
Mais de l'aveu de M. Calvo, ces efforts ne suffiront pas à accélérer suffisamment l'attribution des logements sociaux. « Si vous êtes dans une situation extrêmement catastrophique ou que vous êtes un public ultra prioritaire, vous pouvez l'avoir en un an. Mais pour les autres, des fois, vous pouvez attendre 5 ans, 6 ans, 7 ans ! »
Alors à qui la faute ? Pour l’adjoint au maire de Montpellier, il faut regarder du côté des communes qui ne respectent pas la loi SRU. « Quand Montpellier est entouré d'une série de communes qui ne remplissent pas leurs efforts, après c'est à nous de loger en plus les populations les plus fragiles de ces communes. »
Un « zonage de population » qui serait provoqué volontairement par les municipalités en irrégularité et qui expliquerait en partie le fort taux de pauvreté de Montpellier (26 %).
La mixité sociale au centre des missions du PNRU, complémentaire de SRU
Entre 2004 et 2021, le programme national de rénovation urbaine (PNRU) avait un objectif clairement affiché : la mixité sociale. Ce plan a depuis été remplacé par le nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU).
« L'idée, c'est d'essayer de rééquilibrer l'offre sociale sur le territoire pour limiter les phénomènes de « ghettoïsation" », résume Maxance Barré, directeur général adjoint de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), qui finance et accompagne le NPNRU.
« Pour le PNRU comme pour le NPNRU, il y a la volonté de reconstruire en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Pour le PNRU, nous avions 50 % de reconstructions hors des quartiers. Pour le NPNRU, on est à 80 % ».
La mission de l’Anru n’est pas explicitement de faire respecter la loi SRU. Mais l’agence veille à ce que tout logement social démoli soit reconstruit dans d’autres quartiers jugés « non-prioritaires de la politique de la ville ». Ses financements sont d’ailleurs conditionnés à l’engagement des maires dans ce sens.
Depuis le lancement du NPNRU en 2014, 87 400 logements sociaux ont été construits et 145 000 réhabilitations ont été effectuées. Des opérations auxquelles s’ajoutent « 89 000 produits de diversification », selon Maxance Barré. « Ce ne sont pas des logements sociaux, mais en général de l'accession sociale à la propriété. Donc cela reste du logement à bas loyer ».
Plusieurs millions d'euros d'amende par an
Tous les trois ans, les communes concernées par la loi SRU doivent tenir leurs objectifs, sous peine de payer une amende. « Notre dispositif vient donner des outils aux élus locaux. Mais à la fin, c'est le maire qui décide. Il y a des villes qui assument totalement de payer l'amende et qui disent : "Je ne veux pas de logement social et ce n’est pas grave." », regrette le directeur général adjoint de l’Anru.
« Je trouve que la loi n’est pas assez dure, cela devrait être plus coûteux de ne pas la respecter », abonde Michel Calvo. « Parce qu'en ne construisant pas, ces communes-là renvoient la population qui est en difficulté sur les communes autour ».
Cette année, Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) est la deuxième ville la plus sanctionnée. La commune de 75 000 habitants a payé 5,5 millions d’euros d’amende. Entre 2000 et 2025, son taux de logements sociaux, passé de 5,5 % à 11,5 %, n’a pas assez évolué dans la commune francilienne pour convaincre les autorités.
La situation est si tendue que le préfet du Val-de-Marne a pris la main sur les permis de construire à Saint-Maur en 2020. Mettant en avant la signature d’un contrat de mixité sociale en 2020 pour prouver sa bonne volonté, la mairie se voit comme le « bouc émissaire de la loi SRU » et a annoncé courant octobre 2025 vouloir suspendre sa participation financière.
« Un manque de volonté politique », selon Raphaële d'Armancourt
« À Saint-Maur-des-Fossés, ils peuvent aussi voir s'ils n’ont pas des logements vides, s’ils ne peuvent pas les transformer en logements sociaux », oppose Raphaële d'Armancourt.
L’adjointe chargée du pôle politiques territoriales et urbaines de l’Union sociale pour l’habitat (USH) s’insurge contre les critiques dont fait encore l’objet le logement social.
« Ils se cherchent des excuses. En réalité, cela témoigne d’un manque de volonté politique de leur part. Heureusement, même avec ces freins, la loi SRU, ce n’est pas qu’un échec, on a réussi à faire de belles choses. »
Et quand on lui présente les préjugés concernant les logements sociaux, qui ne seraient pas capables d’accueillir des familles nombreuses, Mme d'Armancourt s'appuie sur le rapport « Les HLM en chiffres » de l’Union sociale pour l’habitat.
Selon les données de 2022, 60 % des HLM récents comportent 3 pièces ou plus. « Dans les demandeurs de logements sociaux, il y a beaucoup de jeunes. Donc forcément que cela fait augmenter les chiffres de T1 ou de T2, mais c’est faux de dire que l’on ne construit que des logements sociaux de type studio ! », explique-t-elle. 25 ans après sa mise en place, la loi SRU n’est en tout cas pas totalement parvenue à faire l'unanimité sur le logement social.
Propos recueillis par Raphaël Barrou














