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La pénibilité et l’usure, sujets épineux de la réforme des retraites

Publié le 21 février 2023

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Le projet de loi de réforme des retraites, qui se retrouve sans vote à l’Assemblée nationale, entre en examen au Sénat début mars. L’occasion de se pencher sur la pénibilité et l’usure professionnelle, sujets importants tant pour le texte que pour le BTP, fortement exposé à ces risques professionnels. Paul Duphil, directeur général de l’OPPBTP, nous apporte son éclairage.
La pénibilité et l’usure, sujets épineux de la réforme des retraites - Batiweb

L’examen du projet de loi de réforme des retraites à l’Assemblée nationale s’est achevé ce vendredi 17 février, sans vote et sans arriver à l’article 7, qui prévoit le report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans. Le tout dans une ambiance survoltée, entre colère du gouvernement, amendements de la Nupes - notamment de La France Insoumise - ainsi que l’échec de la motion de censure proposée par le Rassemblement national.

Au tour maintenant du Sénat d’entrer en première lecture du texte, dès le 2 mars et sur une période de deux semaines. Pendant ce temps, les syndicats préparent une France à l’arrêt, le 7 mars prochain.

Les tensions politiques sont à leur comble. Si la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) a émis ses opinions sur les mesures et moult rebondissements de la réforme, l’Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics (OPPBTP), lui, s’abstient de tout discours engagé, car « ceci n’est pas de notre ressort », justifie Paul Duphil.

Le directeur général de l’OPPBTP ajoute : « Cependant, nous prenons note de ce qui a été présenté jusqu’à présent sur les questions de pénibilité et d’usure professionnelle ».

Les TMS et risques chimiques, grands oubliés du compte pénibilité

 

Car s’il y a bien un grand dossier de la réforme des retraites important pour le BTP, c’est la pénibilité et l’usure professionnelle. Déjà en 2017, la réforme du système du compte pénibilité, dans le cadre de la réforme des retraites de 2014, n’avait pas fait l’unanimité.

« Le compte pénibilité aujourd’hui, il ne comprend que six facteurs de pénibilité sur les dix qui avaient été inclus dans la loi. Et les facteurs les plus importants pour le BTP - postures pénibles, port de charges lourdes, vibrations et expositions à des matières chimiques dangereuses - ne figurent pas parmi ces six », rappelle Paul Duphil.

« Dans le système de compte pénibilité, l’exposition aux [six premiers] facteurs vous donne des points avec lesquels vous pouvez partir plus tôt ou financer des formations en reconversion. Alors que quand vous êtes exposés aux quatre derniers facteurs, l’exposition elle-même ne vous donne rien. C’est seulement si vous êtes malade, qu’on reconnaît votre incapacité à travailler et qu’on vous permet de partir plus tôt », explique le directeur général de l’OPPBTP.

À savoir également que le traitement différentiel des quatre derniers facteurs réside dans leur lisibilité. « Pour le travail de nuit, la mesure d’exposition elle est facile, la fiche de paie suffit à constater, s’il y a du travail de nuit ou pas. Pareil avec le travail en équipe alternante. Pareil pour ce qu’on appelle le travail en température extrême, parce que ça veut dire que quelqu’un travaille dans des locaux, où la température de façon permanente est élevée. Alors que pour le port de charge, on a quelque chose qui est éminemment variable au cours de la journée, au cours de la semaine au cours de l’année. C’est pareil pour les postures, c’est pareil pour les vibrations, c’est pareil pour les risques chimiques », expose ainsi Paul Duphil. 

Toutefois, face à l’actuelle réforme des retraites, une inclusion de ces facteurs « orphelins » dans le compte pénibilité est en négociation entre le gouvernement et les partenaires sociaux. L’idée étant de faciliter aux professionnels exposés l’acquisition et l’utilisation des points, avant qu’ils n’entrent en incapacité physique permanente à 10 %, qui leur ouvre les droits.

Équilibrer les mesures de prévention comme de réparation

 

« S’il y a un point à retenir [pour] l’OPPBTP, c’est que la réforme aujourd’hui, et je parle bien de la réforme des retraites, pour ce qui concerne le plus le BTP, ne donne finalement pas beaucoup d’éléments favorables à la prévention », estime son directeur général, qui retient davantage une stratégie de réparation de la part de l’État.

« Les mesures de réparation, c’est toujours à double tranchant. On peut dire que si la réparation coûte cher, ça peut être une incitation pour ne pas être exposé et donc agir avant la réparation. En même temps, dans un certain nombre de cas, la réparation est considérée par tout le monde comme : « C’est bon finalement, on a une compensation via la réparation, et ça n’engage pas d’action en prévention » », soupèse Paul Duphil.

Certes, parmi les mesures de la réforme annoncées début janvier par la Première ministre Elisabeth Borne, on trouve la création d’un fonds d’un milliard d’euros sur le quinquennat. Le but ? Financer des actions de prévention dans les métiers exposés aux risques professionnels, avec notamment un examen médical du professionnel à ses 45 ans et le financement d'une potentielle reconversion. 

Problème : « la reconversion professionnelle des compagnons du BTP n’est pas une chose aisée aujourd’hui. Parce qu’aux âges où les effets physiques risquent de se faire ressentir, les compagnons sont en général en pleine capacité de leur art. Et donc quitter le métier pour aller faire autre chose, alors qu'on a le sentiment que tout va bien, c’est difficile », souligne Paul Duphil.

Comme l’illustre le directeur général de l’OPPBTP, les athlètes professionnels ont mieux compris que leur carrière s’arrêtera bien plus tôt que dans un autre domaine, que les professionnels du BTP, pour qui ce n’est « pas du tout dans la culture ». Ainsi carreleurs, maçons ou autres compagnons peuvent commencer « à avoir un petit peu mal » et beaucoup « continuent et consultent un petit peu trop tard. Je dirais même que beaucoup de gars s’accrochent par passion du métier », observe l’intéressé. Des raisons certes positives, mais« qui les empêchent à aller jusqu’au bout » de leur parcours.

S’assurer d’une bonne prévention dans les entreprises et dès la formation


Bien que la lisibilité de mesures de prévention doit s'affiner, cela n’empêche en rien l’OPPBTP de se mobiliser en la matière. « La meilleure preuve : nous avons un plan d’actions, stratégique, basé sur cinq ans. Le plan actuel a été validé par notre conseil en octobre 2021. Dès ce moment-là, les organisations professionnelles du BTP, patronales comme syndicales salariés, avaient retenu sept thématiques de prévention prioritaires », illustre Paul Duphil, précisant que les TMS et les risques chimiques figurent dans la liste.

Les actions démarreront fin mars, visant toutes à informer, sensibiliser et armer d’outils les entreprises et le personnel. La mobilisation se tourne également vers les apprenants, que ce soit en centre de formation en apprentissage (CFA) ou en formation initiale, qui recevront une boîte à outils et autres éléments de prévention. 

Mais du côté des jeunes, le lien entre apprenti et maître d’apprentissage est privilégié. « Beaucoup d’acteurs parlent, y compris dans des possibles reconversions partielles et donc une baisse de la charge physique chez les compagnons plus âgés, de développer des missions de mentorat, d’accueil des jeunes, de transmission des savoirs », projette le directeur général de l’OPPBTP. 

Cependant, « on ne va pas avoir plus de la moitié des compagnons de 55 ans qui vont se consacrer intégralement à l’accompagnement des jeunes » et il est difficile de « s’assurer aussi qu’il y ait bien la bonne transmission », soulève-t-il.

Peut-on toutefois s’attendre à une transmission des gestes appris par les jeunes en formation, lorsqu’ils sont en entreprise ? « Des retours de terrain que j’ai, c’est très difficile pour les jeunes. Parce que la situation dans l’entreprise met plutôt le jeune à l’épreuve », et celui-ci n’est pas « écouté spontanément », nous répond Paul Duphil. 

Il n’empêche qu’une attention de l’OPPBTP doit être apportée « dans l’enseignement, d’une part à la sensibilisation, d’autre part à l’identification des bonnes solutions et que l’on encourage les jeunes à se faire les ambassadeurs de ces nouvelles manières de faire dans les entreprises qui les accueillent », soutient l’intéressé.

 

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Propos recueillis par Virginie Kroun

Photo de Une : Paul Duphil - OPPBTP

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