ConnexionS'abonner
Fermer

Quelles priorités pour réhabiliter un monument historique ?

Publié le 25 juillet 2023

Partager : 

La reconstruction de Notre-Dame de Paris met en lumière le travail de précision que demande la réhabilitation des bâtiments patrimoniaux. Mais quelles questions soulève un tel chantier ? Réponses avec quatre experts.
Quelles priorités pour réhabiliter un monument historique ? - Batiweb

45 991. C’est le nombre d’immeubles (bâtis ou non bâtis : parcs, jardins, grottes…) bénéficiant en 2022 du statut de « monument historique », créé en 1837 par la commission des monuments historiques.

Comme indiqué sur le site du ministère de la Culture, ce statut est « une reconnaissance par la Nation de l’intérêt patrimonial d’un bien », et une protection qui « implique une responsabilité partagée entre les propriétaires et la collectivité nationale au regard de sa conservation et de sa transmission aux générations à venir »

Sachant que dans le lot « il n’y a pas que des églises ou des châteaux, il y a une grande partie qui appartiennent à des privés, et certains qui sont des logements », rappelle Yann de Carné, président du groupement des Entreprises de Restauration de Monuments Historiques (GMH). Rattachée à la Fédération Française du Bâtiment (FFB), l’organisation regroupe 250 entreprises spécialisées, soit 10 000 salariés et 1 000 apprentis, répartis sur une douzaine de métiers du patrimoine, dont la charpente, la couverture, la dorure, les peintures murales, ou bien la taille de pierre.

Parmi les entreprises membres du GMH, on retrouve Jarnias. L’entreprise de travaux sur cordes en connaît un rayon sur le monument historique, pour être intervenue sur la Cité radieuse de Marseille, la Tour Eiffel, le pont des Arts, le musée d’Orsay, et bien évidemment la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Intervention des cordistes de Jarnias sur la cathédrale Notre-Dame de Paris - Crédit photo : Pascal Tournaire
Intervention des cordistes de Jarnias sur la cathédrale Notre-Dame de Paris - Crédit photo : Pascal Tournaire

« Les bâtiments patrimoniaux, comme vous les appelez, ont plein de destinations », nous décrit son PDG, Xavier Rodriguez. « Les ouvrages patrimoniaux, cela nécessite plein d’enjeux différents. La plupart du temps, ce sont soit des lieux d’habitation, soit des lieux qui ont une utilité publique, soit qui accueillent du public. Donc on a forcément une coactivité à gérer qui est importante », en conclut-il.

Respecter l’histoire du monument historique

 

La réhabilitation de bâtiments à valeur patrimoniale est donc un travail de dentelle. Toutefois, d’un projet à l’autre, les priorités se ressemblent. 

En général, il convient entres autres de « faire en sorte que notre intervention se voit le moins possible, et que le bâtiment retrouve son éclat. On va intervenir ponctuellement, et quand c’est vraiment nécessaire », nous expose le président du GMH. Ainsi, « quand il y a une façade en pierre, on va faire un calepinage pour définir les pierres qui structurellement sont affaiblies et sont à changer. Celles qui auraient des désordres esthétiques, mais n’impacteraient pas la structure de bâtiment, ne seraient pas à changer », estime-t-il.

Même mode opératoire encouragé par le bureau d’études Abcdomus. « Il faut poser un bon diagnostic, pour bien préparer et bien entretenir », souligne Benoît Cousin, son co-gérant. 

Il abonde : « Il faut respecter l’histoire du bâtiment, parce que les bâtiments ont une histoire liée à leur construction, leurs évolutions possibles, et aux différentes périodes de travaux qu’ils ont pu subir. Et il y a pu avoir des réhabilitations malheureuses : utilisation de mauvais produits, réalisation d’extensions qui ne sont pas forcément dans l’esprit du bâtiment. On le voit beaucoup dans des bâtiments qui ne sont pas classés, où les gens ont utilisé au fil du temps des matériaux de différentes époques. L’exemple le plus flagrant, c’est l’utilisation de fenêtres PVC dans les bâtiments parisiens, alors qu’à l’origine, cela pouvait être des menuiseries bois ou des menuiseries métal ».

Mieux cerner la nature du bâtiment

 

Abcdomus a également observé des ravalements de façade de bâtiments parisiens avec des solutions techniques, très éloignées de l’enduit traditionnel et qui ont pu engendrer des pathologies. Par exemple : l’utilisation de matériaux non perméables. « Il y a quelques années, sur la restauration de bâtiments, plutôt que de mettre de la chaux - qui véhicule de l’eau - on va restaurer solide et mettre du ciment. 50 ans plus tard, on se rend compte que le ciment abîme encore plus la pierre, et on se retrouve à enlever le ciment, parce qu’en-dessous, cela emprisonne l’eau, l’humidité, cela empêche les pierres de respirer, et cela les dégrade », appuie de son côté Yann de Carné du GMH.

La même précaution s’applique sur d’autres matériaux. « On est intervenus sur un bâtiment de Henri Sauvage, qui date des années 1920. C’est un bâtiment d’habitation assez extraordinaire en céramique. Il faut venir nettoyer la céramique sans en abîmer l’émail. Donc on a nettoyé à la brosse à dents, avec des produits non corrosifs, etc. », nous raconte par exemple Xavier Rodriguez.

Même constat dans la réhabilitation de bâtiments patrimoniaux métalliques. « Les problèmes qu’on rencontre, c’est de connaître la nature de l’acier en place. Et à l’époque on ne parlait pas d’acier, on disait du fer », nous confie David Henocq, gérant principal de CCS Ouest, entreprise de construction métallique. Par époque, l’intéressé entend la période d’avant-guerre, de révolution industrielle et par extension de construction métallique. En témoigne la Tour Eiffel, construite à partir de fer puddlé. Haut en imperfection, le composant rend impossible toute opération de soudure sur le monument.

Ce qui n’est pas forcément le cas de La Samaritaine, qui a rouvert ses portes après 16 années de travaux. Son ossature en acier a bénéficié de renforts par soudure, mais avec précaution. « L’acier de l’époque n’a pas la compacité qu’il a aujourd’hui, donc il y a des fragilités. Le problème, c’est que quand on soude des aciers comme ça, le point d’échauffement est trop important, l’acier se dilate et le défaut va se propager, devenir critique, et faire fissurer », explique David Henocq. 

Travaux sur les poutres métalliques de la Samaritaine - Crédit photo : CCS Ouest
Travaux sur les poutres métalliques de la Samaritaine - Crédit photo : CCS Ouest

Les protocoles établis entre les constructeurs métalliques et l’institut de soudure sont musclés. Parmi les procédures, on effectue des prélèvements, envoyés en laboratoire. « Ces éprouvettes servent à plusieurs analyses : chimiques - où ils reconstituent la carte d’identité de la constitution de l’acier et du matériau - et mécaniques - où l’on vérifie son élasticité, jusqu’ou où on peut le tirer jusqu’à la rupture, sa fragilité à froid, à température ambiante, car c’est quand les températures sont froides que l’acier est bien plus fragile. C’est comme ça qu’on peut déterminer s’il est soudable ou pas. Parfois cela aboutit, comme sur la Bourse de commerce », nous décrit le gérant principal de CCS Ouest. 

En résumé, au-delà d’être un travail de dentelle, la réhabilitation d’un monument historique est un travail d’humilité, selon le président du GMH. « Il faut qu’on fasse attention, qu’on se dise que ce qui paraît bon aujourd’hui ne sera peut-être pas la bonne solution pour demain », défend-il.

Défendre le potentiel énergétique et bas carbone du patrimoine

 

Et le futur d’une opération de réhabilitation s’envisage par sa réversibilité. Par exemple, pour une opération d’isolation toiture, on privilégie une isolation par l’intérieur, en accrochant de la laine de roche sur les rails, comme évoqué par le président du GMH. Pour la partie mur, s’il est en pierre, la question d’une isolation ne se pose pas réellement. 

« Dans la thermique des bâtiments, c’est l’inertie des bâtiments qui compte beaucoup. Les bâtiments en pierre de taille, ou qui ont des murs épais lourds, captent l’énergie et le soleil. Et il y a un déphasage, qui fait que l’énergie est distribuée la nuit, où il fait moins chaud et l’extérieur se refroidit », nous précise Benoit Cousin d’Abcdomus. 

Mais au-delà de la thermique des monuments historiques, leur potentiel bas carbone est à défendre. « Ils ont été construits il y a très longtemps, donc ils ont déjà amorti leurs émissions de gaz à effet de serre. En plus, ils utilisent des matériaux qui, pour la plupart du temps, sont très locaux. On va utiliser l’ardoise, des pierres de la région, des charpentes de la région. Et en plus de cela, ce sont des métiers où il y a un savoir-faire manuel, on utilise peu de machines pour intervenir », nous rappelle Xavier Rodriguez.

« Ne pas démolir et conserver les bâtiments existants, c’est sûr qu’on est sur une idée bas carbone », approuve Benoit Cousin. « Après, sur les circuits-courts, oui et non, parce que quelques fois les matériaux qu’on utilise ne sont pas forcément locaux. Le circuit-court, si la réhabilitation est en région parisienne, il faut que les produits utilisés viennent de la région parisienne. Or, par exemple, en région parisienne, on n’a pas d’ardoise ou des carrières de production de matériaux, et qui, en plus, ne sont plus forcément en France », nuance le co-gérant d’Abcdomus.

Quand bien même, « le patrimoine en soit, est très déjà extrêmement vertueux vis-à-vis de l’environnement. Si en plus on arrive à faire en sorte que les matériaux qu’on utilise demain soient aussi vertueux, et on arrive aujourd’hui à utiliser des matériaux recyclés, des matériaux écologiques, tout en améliorant l’isolation et la perméabilité des bâtiments, ce serait fantastique », encourage le PDG de Jarnias.

Côté économie circulaire, les possibilités sont grandes pour nombre de matériaux. L’acier, s’il n’est pas disponible à l’échelle locale, est particulièrement très avancé sur le recyclage. Des canettes aux ailes de voiture, tout est mélangé et enrichi de composants, selon les caractéristiques souhaitées. « Aujourd’hui, il y a des aciéries qui fonctionnent en majorité, aux deux-tiers, avec le recyclage. Le recyclage aujourd’hui a pris une part dominante énorme », nous décrit David Henocq de CCS Ouest. « Par contre, sur le réemploi d’une poutre ancienne, il faut être sûr d’avoir la fiche d’identité de l’acier. Soit on a un dossier d’ouvrage qui a été exécuté, soit, comme ces constructions remontent souvent à il y a 100 ans, ces dossiers n’existent pas ou ont disparu. Et dans ces cas-là, il faut refaire des essais sur les aciers en place, pour voir si le réemploi est adapté », oppose-t-il.

Résultat d'un chantier de réhabilitation mené par l'entreprise SMBR, gérée par Yann de Carné - Crédit : SMBR
Résultat d'un chantier de réhabilitation mené par l'entreprise SMBR, gérée par Yann de Carné - Crédit : SMBR

Le réemploi est cependant plus envisageable sur la pierre. Yann de Carné, dont l’entreprise niçoise opère beaucoup dans le Sud de la France et les DOM-TOM, en sait quelque chose. « Quand on fait des toitures en lauze, on peut essayer d’aller chercher au niveau des habitants, des locaux, des stocks de lauze à vendre ou des bâtiments qui sont en ruines. On va les récupérer, pour restaurer les matériaux existants », nous évoque-t-il. Autre exemple : « On utilise des pigments pour faire nous-même des badigeons de nos peintures, on reproduit aussi les gestes des anciens. Les anciens n’avaient pas toute la chimie, toutes les machines modernes que nous avons aujourd'hui sur des constructions neuves en béton ». D’ailleurs, à l’échelle du GMH, un groupe de travail a été fondé pour recenser les matériaux et techniques adaptées, tant au patrimoine qu’aux réglementations environnementales, comme la RE2020, qui régit les extensions des monuments historiques.

 

Sécuriser les interventions des professionnels

 

La sécurité sur chantier est un autre point de vigilance dans la réhabilitation des monuments historiques. Le travail se fait souvent en haute altitude, et dans des coins et recoins difficiles d’accès. Heureusement, c’est la raison d’être du métier de cordiste. « On nous fait intervenir pour plusieurs raisons. D’un part pour la compétence d’accès, mais aussi pour s’assurer qu’effectivement on va intervenir en sécurité », nous confie le PDG de Jarnias, récemment désigné vice-président du syndicat France Travaux sur Cordes

Une récente enquête de Mediapart (article payant) pointe toutefois des failles sécuritaires chez Jarnias et autres entreprises de travaux sur cordes. Failles que Xavier Rodriguez reconnait durant notre entretien, avant publication de ces révélations. « C’est un métier qui est jeune et qui mérite d’être structuré », nous déclare le vice-président de France Travaux sur Cordes. Le syndicat travaille avec les pouvoirs publics pour renforcer les règles de sécurité durant l’intervention des cordistes. 

« Il y a un cadre qui est trop étroit. Il y a une note de la Direction général du travail, qui définit effectivement un cadre, mais en effet il n’y a pas de réglementation proprement dite. Nous, on milite pour que ce soit des entreprises qui soient certifiées et cochent les cases de bonnes pratiques, de bonne conduite, entre autres de formation des équipes, de respect de procédures d’intervention, d’identification des points d’ancrage, qui permettraient que ces métiers-là soient occupés par des professionnels certifiés », insiste-t-il.

Mais les risques professionnels ne se limitent pas qu’aux chutes. L’exposition aux risques chimiques en fait partie. C’est le cas notamment du risque plomb, très courant sur les constructions métalliques. « L’acier s’oxyde mais a été traité par peinture, et la plupart de ces vieux bâtiments ont été traités aux peintures au plomb. Lors qu’on intervient sur ce type de bâtiment, il faut aussi faire un diagnostic plomb-amiante, et s’il y a du plomb, il faut déplomber la charpente avant de pouvoir intervenir », développe David Henocq de CCS Ouest.

 

Inclure dans la réhabilitation des bâtiments non classés 

 

Mais, selon nos experts, trouver des matériaux et procédés vertueux, sécuritaires et traditionnels adaptés au patrimoine ne suffit pas. « Ce qu’on demande aussi, c’est que les bâtiments à caractère patrimonial, mais pas forcément classés, soient également pris en compte », revendique Yann de Carné.

« Il y a beaucoup de bâtiments qui ne sont pas soumis à des règles, parce qu’ils ne sont ni inscrits ni classés. Et cela, on l’oublie beaucoup. Il faut pouvoir préserver ces bâtiments-là. Après, est-ce qu’ils ont besoin d’être classés, ou d’être inscrits ? Je ne pense pas. Mais il faut avoir l’idée de les préserver », confirme de son côté Benoit Cousin d’Abcdomus.

Le bureau d’études prend en compte un autre point essentiel : le coût. D’ailleurs, ces derniers sont-ils plus forts dans le cas d’une réhabilitation ? « On peut difficilement faire des généralités. Cela dépend vraiment des propres pathologies du bâtiment, et aussi de son statut. S’ils sont classés ou inscrits, oui ce sera certainement plus cher. S’ils ne le sont pas, c’est de l’entretien courant », nous répond son co-gérant.

D’où l’intérêt selon lui de faire un diagnostic : « Quand on fait un diagnostic, on intègre de suite des pistes de réflexion de coûts de travaux, sur la base de ratios. Ce qui permet d’orienter après le client vers un projet. Parce que ce qui est triste parfois, c’est d’avoir un diagnostic et les solutions techniques proposées à un client qui ne sont pas adaptées à son portefeuille ».

 

Propos recueillis par Virginie Kroun


Photo de Une : Adobe Stock

Sur le même sujet

bloqueur de pub détecté sur votre navigateur

Les articles et les contenus de Batiweb sont rédigés par des journalistes et rédacteurs spécialisés. La publicité est une source de revenus essentielle pour nous permettre de vous proposer du contenu de qualité et accessible gratuitement. Merci pour votre compréhension.