Énergie, Chine, MaPrimeRénov’ : le coup de gueule de Benoît Bazin devant les députés

« Quand on en est à enlever l’isolation des murs… je ne sais plus quoi dire ! »
Benoît Bazin n’a pas mâché ses mots. Interrogé sur les freins à la rénovation énergétique, le patron de Saint-Gobain a vivement critiqué la décision d’exclure l’isolation des murs du dispositif MaPrimeRénov’ dans le cadre des “mono-gestes”.
« Quand on en est à enlever l’isolation des murs sur un diagnostic d’isolation thermique, je ne sais plus quoi dire ! », a-t-il lancé devant les députés, selon la vidéo de l’audition ci-dessous.
Ce changement, annoncé en septembre, a suscité de vives réactions dans le secteur. Pour Bazin, cette mesure envoie un mauvais signal à toute la filière alors que l’isolation des parois verticales reste l’un des leviers majeurs pour réduire les consommations d’énergie des bâtiments.
« Les ménages ont besoin de clarté, les artisans de stabilité et les industriels de visibilité », a-t-il insisté, rappelant que l’isolation des murs peut représenter jusqu’à 25 % des pertes thermiques d’un logement.
Le coût de l’énergie, talon d’Achille de l’industrie européenne
Autre cheval de bataille du dirigeant : le prix de l’énergie, qu’il juge " insoutenable " pour les industriels français.
« Le coût de l’énergie en Europe est quatre à cinq fois supérieur à celui pratiqué aux États-Unis ou en Chine. C’est une aberration économique ! »
Cette situation, selon lui, freine les investissements dans la décarbonation des procédés, pourtant au cœur de la stratégie de Saint-Gobain. Le groupe, qui a déjà engagé plusieurs centaines de millions d’euros dans l’électrification de ses fours et la valorisation des matériaux recyclés, plaide pour un soutien public plus lisible.
« Nous avançons vite sur la transition écologique, mais la compétitivité énergétique conditionne tout. Sans énergie abordable, pas d’industrie décarbonée. »
Matériaux chinois : « des produits verts à bas prix inondent le marché »
Le PDG du géant des matériaux a également tiré la sonnette d’alarme sur la concurrence chinoise, qu’il qualifie de " nouvelle menace systémique " pour la filière européenne.
« Des produits dits " verts " arrivent désormais d’Asie sur le marché européen, notamment en Italie, en Pologne ou en Espagne. C’est inédit ! »
Selon lui, ces importations massives, souvent issues d’usines alimentées par du charbon, brouillent la concurrence : elles profitent d’un coût énergétique bas et d’une réglementation environnementale plus souple, alors que les fabricants européens supportent des normes strictes et des coûts élevés.
Bazin appelle donc à une réponse européenne coordonnée, inspirée du modèle américain, où le plan " Inflation Reduction Act " subventionne directement les investissements industriels bas carbone.
« Nous avons besoin d’un cadre européen unifié. Sinon, nous serons concurrencés sur nos propres marchés par des produits fabriqués à l’autre bout du monde. »
« Décarboner, recycler, produire localement » : la feuille de route de Saint-Gobain
Malgré ses critiques, le dirigeant a rappelé les progrès accomplis par le groupe, qui se présente comme pionnier de la construction bas carbone :
- électrification des sites de production de verre et de plâtre ;
- hausse de la part de matériaux recyclés ;
- circuits courts et production locale dans chaque pays ;
- réduction de 33 % des émissions de CO₂ depuis 2017.
Saint-Gobain, présent dans 76 pays, affiche l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
« Nous prouvons qu’il est possible de produire en Europe, proprement et efficacement. Mais pour continuer, il faut de la stabilité réglementaire. »
Un plaidoyer pour une politique industrielle durable
L’audition de Benoît Bazin dépasse le cas Saint-Gobain : elle révèle les tensions croissantes entre ambitions climatiques et compétitivité industrielle.
Les députés ont salué la franchise du dirigeant, qui a résumé le dilemme du secteur :
« On nous demande d’être verts, mais on nous pénalise sur les coûts. Si rien ne change, l’industrie européenne disparaîtra sous le poids des bonnes intentions. »
Pour le patron de Saint-Gobain, l’enjeu est clair : maintenir une base industrielle forte pour soutenir la transition énergétique. Et cela passe, selon lui, par trois priorités :
- réintégrer l’isolation des murs dans MaPrimeRénov’
- maîtriser le coût de l’énergie
- protéger le marché européen des importations déloyales
À retenir
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Par Camille Decambu