Le bâtiment vent debout contre la potentielle suspension de MaPrimeRénov’

Suite aux informations données le 3 juin par Le Parisien, le ministère du Logement a voulu rassurer : oui la suspension temporaire de MaPrimeRénov’ est envisagée, mais rien n’est tranché, ni appliqué de manière immédiate.
Pourtant, les esprits s’agitent parmi les professionnels du bâtiment. Notamment du côté de la Fédération française du bâtiment (FFB) qui, « après le blocage budgétaire de début 2025 », craint « le spectre d’un gel total de MaPrimeRénov’ pour le second semestre ».
Un impact économique, écologique et social
« On ne peut pas appeler à accélérer la rénovation énergétique et, dans le même temps, saboter un des seuls outils qui fonctionnent ! Il faut choisir », s’indigne son président Olivier Salleron. « Pérenniser MaPrimeRénov’, c’est restaurer la confiance, redonner du pouvoir d’achat aux plus modestes. Le gouvernement ne peut pas tergiverser sur un tel sujet, 100 000 emplois se trouvent menacés et la colère gronde ! », soutient-il.
D’autant que plus de 378 000 chantiers de rénovation ont été financés par l’aide MaPrimeRénov’ en 2024 - d’ampleur et mono-geste mais aussi ceux financés par MaPrimeRénov’ Copropriétés compris. En parallèle, à travers son budget 2025, l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (Anah) table sur 400 000 rénovations, toutes aides confondues.
La suspension de MaPrimeRénov’, principale aide à la rénovation énergétique représenterait « un nouveau coup dur pour nos entreprises, dont l’activité est déjà en berne, qui s’étaient projetées sur le développement du marché de la rénovation énergétique », s’inquiète la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). Cette éventualité, encouragée par des arguments budgétaires - mais aussi pour avoir plus de temps dans le traitement des dossiers - contreviendrait toutefois aux possibles retombées économiques, sociales et fiscales, liées à la massification des travaux.
Car selon l’Ademe, les ménages ayant rénové énergétiquement le logement pourraient bénéficier d’économies de 700 à 1 200 € par an. La rénovation énergétique concentre également 25 % du potentiel de réduction des émissions nationales. « Le cap fixé depuis le Grenelle de l’environnement en 2007 est en péril, finie la transition énergétique ! », s’alarme la FFB.
« Suspendre MaPrimeRénov’, ce n’est pas faire des économies : c’est sacrifier une filière essentielle à la transition écologique, affaiblir le pouvoir d’achat des ménages et casser l’élan de la rénovation énergétique en France », résume Laurent Nataf, président-fondateur d’Homélior, spécialiste la rénovation énergétique.
Pas plus d’aides, mais plus de stabilité
« La loi Climat interdit bientôt la location des logements classés G. Sans alternative crédible à MaPrimeRénov’, des millions de foyers risquent de rester prisonniers de passoires thermiques, sans moyens de financer les travaux », abonde Homélior.
La société est également préoccupée par un « désengagement progressif sans stratégie lisible ». Surtout face à des décisions contradictoires ces dernières années : réduction des CEE, changement erratique de règles, instabilité et retards de versements, voire la complexité des démarches.
« Les artisans attendent maintenant des garanties claires sur le maintien de ce dispositif et la détermination de l’Etat à le renforcer en organisant une répartition des fonds avec pragmatisme », défend Jean-Christophe Repon, président de la CAPEB. « Ils veulent savoir si les dossiers déposés jusqu’au 30 juin 2025 seront effectivement tous réglés. Ils s’interrogent aussi sur l’avenir : S’agirait-il d’un simple gel temporaire ou d’une refonte complète du dispositif en 2026 ? », poursuit-il.
Dans ce sens, Homélior recommande une double alternative. D’abord le maintien budgétaire de MaPrimeRénov’ sur 3 à 5 ans, à travers la loi de finances. Un calendrier prévisible de versement doit être aussi fixé « pour permettre l’anticipation des recrutements et investissements », tandis que les parcours doivent être simplifiés et fluidifiés.
Deuxième proposition : la « réactivation renforcée des CEE pour les particuliers », avec mobilisation des obligés pour « pour compenser la baisse des financements publics ». Sans compter des contrôles renforcés contre les fraudes, en collaboration avec Tracfin, la DGCCRF et autres « acteurs de terrain ».
Davantage encourager les parcours travaux mono-gestes ?
Les fraudes à la rénovation énergétique sont une problématique prégnante, notamment face aux rénovations d’ampleur encouragées par le gouvernement. « Ces rénovations sont beaucoup plus coûteuses – donc plus consommatrices d’aides publiques – et plus attrayantes pour les fraudeurs », évoque la CAPEB.
« Certains acteurs ont su tirer profit du système en adaptant leurs offres au plafond maximal de la prime, entraînant une surfacturation, avec pour conséquence un étranglement budgétaire du dispositif, un emballement du nombre de dossiers aux montants excessifs, ainsi qu’un effet d’éviction des ménages modestes et des artisans locaux », développe la confédération.
A contrario, le mono-geste, réintroduit dans le dispositif MaPrimeRénov’, aurait limité l’appât du gain, affirme la CAPEB. L’organisation de l’artisanat du bâtiment déplore cependant l'absence de parcours de travaux sur plusieurs années. Mesure-phare défendue par la CAPEB, elle rendrait la rénovation globale plus accessible, car elle permettrait « une succession de mono gestes moins onéreux et le versement d’aides publiques au fur et à mesure avec une bonification en fin de parcours, limitant de fait sensiblement l’intérêt de la fraudes ».
Par Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock